Tête de Voltaire par Huber

Cahiers Voltaire: résumes des articles

Sont présentés ici les résumés des contributions à la section «Études et textes» (devenue en 2022 deux sections, «Études» et «Textes»), préparés par Alain Sager.

Volume 21   20   19   18   17   16   15   14   13   12   11   10   9   8   7   6   5   4   3   2   1

Cahiers Voltaire 21, 2022

Olivier Guichard, La réception des Lettres philosophiques par les pères de la Compagnie de Jésus

L’auteur examine les éléments de la controverse suscitée par la parution des Lettres philosophiques, comportant le débat engagé par Voltaire avec R.-J. de Tournemine. Il établit d’abord la «chronologie d’une riposte tardive», avant de montrer que l’adjonction aux Lettres par Voltaire d’un Anti-Pascal apparaît comme un «subterfuge contreproductif». La Compagnie reprend sa propre réplique contre la Satire XII de Boileau, en dénonçant la chimère d’un poète travesti en philosophe. De nouvelles cibles sont apparues, telle la «matière pensante» de Locke et la philosophie de Newton. L’ensemble de ces controverses sonne le glas pour la Compagnie, en laissant progressivement au parti philosophique le contrôle de l’opinion publique.  

Olivier Guichard, The reception of the Lettres philosophiques by the Jesuits

The author examines the elements of the controversy aroused by the publication of the Lettres philosophiques, including the debate initiated by Voltaire with R.-J. de Tournemine. He first establishes the “chronology of a late response”, before showing that Voltaire's addition to the Letters of an Anti-Pascal appears as a "counterproductive subterfuge". The Company took up its own reply against Boileau's Satire XII, denouncing the chimera of a poet disguised as a philosopher. New targets emerged, such as Locke's "thinking matter" and Newton's philosophy. All these controversies sounded the death knell for the Company, gradually leaving the philosophical party in control of public opinion.

Frédéric Calas, Anne-Marie Garagnon, «Des nains sur des épaules de géants»: stylistique de la comparaison dans Micromégas

La comparaison se situe par principe au centre de Micromégas. Comparer, c’est confronter deux objets, pour saisir leurs ressemblances et leurs différences. Les auteurs relèvent l’étonnante variété des moyens d’expression par laquelle Voltaire exprime les comparaisons entre les protagonistes du conte. Le relativisme de son propos s’exprime notamment par le recours au parallèle (du type hommes illustres de Plutarque), détourné parodiquement. Différentes autres sortes de comparaison sont examinées: équivalente, globalisante et résiduelle. Une mention particulière est faite de l’«antispécisme voltairien», et des rapports entre humanité et animalité.

Frédéric Calas, Anne-Marie Garagnon, "Dwarves on the shoulders of giants": stylistics of comparison in Micromegas

The comparison is in principle at the center of Micromegas. To compare is to confront two objects, to grasp their similarities and differences. The authors note the astonishing variety of means of expression by which Voltaire expresses the comparisons between the protagonists of the tale. The relativism of his speech is expressed in particular by the use of the parallel (of the type Plutarch’s Illustrious men), diverted parodically. Different kinds of comparison are examined: equivalent, globalizing and residual. Special mention is made of "voltarian antispeciesism", and the relationship between humanity and animality.

François Bessire, «J’ai passé neuf heures avec M. de Voltaire»: Félicité de Genlis à Ferney en 1775

Dans Les lieux de mémoire, Pierre Nora montre comment la visite au grand écrivain devient une pratique sociale, entraînant une forme originale de récit. L’auteur se donne pour but de publier successivement dans les Cahiers Voltaire certaines de ces contributions sur le thème de la «visite à Voltaire». C’est le cas du récit donné par Mme de Genlis en 1775, consignée en 1804 dans Les Souvenirs de Félicité L. ***. La narratrice livre une vision paradoxale de Voltaire, qu’elle critique pour ses positions idéologiques figées, mais qu’elle décrit comme un homme sensible et bon. Au-delà, Mme de Genlis campe un portrait d’elle-même, confrontée à un maître, vis-à-vis duquel elle oscille entre la recherche d’une filiation et l’adoption d’une nouvelle posture en littérature.

François Bessire, "I spent nine hours with M. de Voltaire": Félicité de Genlis in Ferney in 1775

In Les Lieux de mémoire, Pierre Nora shows how visiting the great writer becomes a social practice, resulting in an original form of storytelling. The author aims to publish successively in the Cahiers Voltaire some of these contributions on the theme of the "visit to Voltaire". This is the case of the account given by Mme de Genlis in 1775, recorded in 1804 in Les Souvenirs de Félicité L. ***. The narrator delivers a paradoxical vision of Voltaire, whom she criticizes for his fixed ideological positions, but whom she describes as a sensitive and good man. Beyond that, Mme de Genlis portrays herself, confronted with a master, vis-à-vis whom she oscillates between the search for a filiation and the adoption of a new posture in literature.

Thierry Ozwald, Mérimée, un héritier de Voltaire

Il existe chez Mérimée un compagnonnage, une fréquentation et une complicité de longue date avec Voltaire. L’étude de sa correspondance en témoigne. De nombreuses incidences parcourent récits et nouvelles. Il en va de même pour l’historiographie: l’Histoire du règne de Pierre le Grand par Mérimée est tributaire des œuvres de Voltaire et de ses méthodes. La question religieuse les rapproche jusqu’à un certain point. L’auteur oppose l’athéisme de Voltaire et sa négation de toute spiritualité à l’agnosticisme de Mérimée. Enfin, un véritable lien de parenté unit les deux écrivains concernant leur langue, ce qui permet à Thierry Ozwald de faire appel à une recherche stylistique sur ce plan.

Thierry Ozwald, Mérimée, an heir of Voltaire

In the works of Mérimée, there is a long-standing companionship, frequentation and complicity with Voltaire. The study of his correspondence testifies to this. Many incidences run through stories and news. The same goes for historiography: Mérimée's Histoire du règne de Pierre le Grand depends on Voltaire's works and his methods. The religious question brings them closer to a certain extent. The author contrasts Voltaire's atheism and his negation of all spirituality with Mérimée's agnosticism. Finally, a real relationship unites the two writers regarding their language, which allows Thierry Ozwald to call on a stylistic research on this level.

Myriam Roman, Le dernier Voltaire de Victor Hugo, 1863-1889

Victor Hugo a entretenu un long compagnonnage très contrasté avec Voltaire. La contributrice s’attache au «dernier» Voltaire d’Hugo, consécutif à son exil, puis à son retour triomphant. Mais Voltaire représente pour Hugo «une présence obsédante» qui remonte à 1864 et à l’essai sur William Shakespeare. «Converti» au service «du bien en quête du vrai», Voltaire est assimilé à saint Paul sur le chemin de Damas. Cette identification d’Hugo à Voltaire, et réciproquement, est opérée par les contemporains dès la Troisième République. En 1878, lors du centenaire du Patriarche, Hugo n’hésite pas à présenter «un Voltaire christique très hugolien». Myriam Roman interpelle : Voltaire, un alter Hugo?

Myriam Roman, The last Voltaire by Victor Hugo, 1863-1889

Victor Hugo maintained a long companionship very contrasted with Voltaire. The contributor attaches herself to Hugo's "last" Voltaire, following his exile, then his triumphant return. But Voltaire represents for Hugo "a haunting presence" that dates back to 1864 and the essay on William Shakespeare. "Converted" to the service of "the good in search of the true", Voltaire is assimilated to Saint Paul on the road to Damascus. This identification of Hugo with Voltaire, and vice versa, is operated by contemporaries since the Third Republic. In 1878, during the centenary of the Patriarch, Hugo did not hesitate to present "a very Hugolian Christic Voltaire". Myriam Roman calls out: Voltaire, an alter Hugo?

François Jacob, Louis Dumur et Voltaire: un rapport ambigu

Le Suisse Louis Dumur (1863-1933) fut une figure exemplaire de la revue Le Mercure de France. Mais il est aussi un romancier assez prolifique. Au centre de sa dynamique romanesque, Voltaire apparaît «comme le pivot naturel autour duquel vient se greffer une grande partie de son argumentation». En témoigne par exemple L’Ecole du dimanche (1911). Après la référence à plusieurs lettres, l’auteur explore l’œuvre romanesque de Louis Dumur, en relevant les «trois axes fédérateurs» du discours tenu sur le Patriarche: religieux, «patriotique» et symbolique. De telles orientations n’ont pas manqué de susciter tant controverses et polémiques en Suisse qu’un risque de récupération par l’Action française au pays de Voltaire.

François Jacob, Louis Dumur and Voltaire: an ambiguous relationship

The Swiss Louis Dumur (1863-1933) was an exemplary figure in the review Le Mercure de France. But he is also a fairly prolific novelist. At the center of his romantic dynamics, Voltaire appears "as the natural pivot around which a large part of his argumentation is grafted". This is evidenced, for example, by L'Ecole du dimanche (1911). After the reference to several letters, the author explores the work of Louis Dumur, noting the "three unifying axes" of the discourse held on the Patriarch : religious, "patriotic" and symbolic. Such guidelines have not failed to arouse both controversy and controversy in Switzerland and in France a risk of recovery by Action Française.

André Magnan, D1-D101: nouvelles datations, corrections, additions, etc.

L’auteur reprend les cent une premières lettres de la correspondance dite «définitive» (D) publiée par Theodore Besterman.

André Magnan, D1-D101: new dates, corrections, additions, etc.

The author takes up the first hundred and one letters of the so-called "definitive" correspondence (D) published by Theodore Besterman.

Andrew Brown, Additions à la correspondance de Voltaire (I)

L’auteur répertorie les lettres inédites parues dans les CV 1 à 20. Une continuation est prévue pour les lettres restées inédites et pour celles parues dans d’autres publications.

Andrew Brown, Additions to the correspondence of Voltaire (I)

The author lists the unpublished letters published in CVs 1 to 20. An extension is planned for letters that have remained unpublished and for those published in other publications.

Cahiers Voltaire 20, 2021

Gerhardt Stenger, Voltaire contre le Système de la nature

L’auteur reprend l’opposition de Voltaire au livre de d’Holbach, à partir de l’ensemble des textes disponibles, incluant notamment les annotations marginales aux ouvrages du philosophe matérialiste, et un abrégé du Système paru en 1774. Il retrace le contexte historique de la controverse qui s’étend sur cinq ans. Outre la brochure de 1770 improprement titrée Dieu. Réponse au Système de la nature, et l’article «Dieu, dieux» des Questions sur l’Encyclopédie, Voltaire a copieusement annoté Le bon sens et Les vraies raisons du Système de la nature. Le «dernier round» se déroule dans les Dialogues d’Evhémère. Si Voltaire combat l’athéisme tapageur, il se montre bien plus proche du matérialisme athée qu’on pourrait l’imaginer. Mais il restera fidèle à l’idée d’une «âme du monde», d’une «force secrète», ou d’un «principe d’action», immanents à la nature sans s’y confondre.

Gerhardt Stenger, Voltaire against the Système de la nature

The author takes up Voltaire's opposition to d'Holbach's book, from all the available texts, including in particular the marginal annotations to the works of the materialist philosopher, and an abstract of the Système published in 1774. It traces the historical context of the five-year controversy.  In addition to the pamphlet of 1770 improperly titled Dieu. Réponse au Système de la nature, and the article «Dieu, dieux» of Questions sur l’Encyclopédie, Voltaire copiously annotated Le Sens commun  and Les vraies raisons du Système de la nature. The «last round» takes place in the Dialogues d'Evhémère. If Voltaire fights raucous atheism, he is much closer to atheistic materialism than one might imagine. But he will remain faithful to the idea of a «soul of the world», a «secret force», or a «principle of action», immanent to nature without being confused with it.

Olivier Guichard, Du tabagisme et des jésuites: à propos de l’Impromptu sur une tabatière confisquée

Ce texte de jeunesse voltairien prend toute son importance en relation avec la scolarité de son auteur au collège jésuite de Louis-le-Grand, et de sa capacité à prouver la précocité et la force de caractère du jeune élève. La tabatière confisquée par un régent du collège, qui donne lieu à cette composition versifiée, témoigne de l’éducation reçue par Voltaire au collège. Mais l’œuvre résonne d’abord comme les exercices de rhétorique et les recommandations des bons pères contre les méfaits du tabac. Ainsi en va-t-il des Déités contre le tabac, une composition due au père Gabriel François le Jay, et dont on trouve la transcription dans un volume de notes de cours, prises par Jean de Robécourt. Olivier Guichard nous donne l’original latin et la traduction de ce texte qui jette un éclairage original sur la composition voltairienne.

Olivier Guichard, Smoking and the Jesuits: about the Impromptu on a confiscated snuffbox

This text of voltarian youth takes all its importance in relation to the schooling of its author at the Jesuit college of Louis-le-Grand, and its ability to prove theprecocity and strength of character of the young student. The snuffbox confiscated by a regent of the college, which gives rise to this versified composition, testifies to the education received by Voltaire at the college. But the work resonates first of all as the exercises of rhetoric and the recommendations of good fathers against the harms of tobacco. So it is with Les Déités contre le tabac, a composition by Father Gabriel François le Jay, and whose transcription can be found in a volume of lecture notes, taken by Jean de Robécourt. Olivier Guichard gives us the Latin original and the translation of this text which sheds an original light on the Voltairian composition.

Melanie Slaviero, La porte de la galerie Voltaire au château de Cirey: sceau d’un imaginaire voltairien de la science et seuil d’un espace scientifique nouveau au XVIIIe siècle

Avec des illustrations, Melanie Slaviero décrit la porte de la «galerie Voltaire» du château de Cirey, présentée naguère par Renaud Bret-Vitoz, comme «un spectaculaire programme philosophique et artistique». Une tension semble se manifester entre l’aspect solitaire de la galerie et l’invitation faite aux amis de partager l’activité de ces lieux. La porte apparaît alors comme le seuil d’un sanctuaire de la philosophie, à l’image de son architecture qui s’apparente à un temple. Elle ouvre sur un espace nouveau dédié à la formation scientifique et savante. Sans consentir à une forme de science-spectacle, cette porte témoigne enfin d’un idéal qui va devenir intenable, à savoir maintenir un lien entre sciences et arts, dans une époque qui voit le langage mathématique investir presque exclusivement le domaine scientifique.

Melanie Slaviero, The door of the Voltaire Gallery at the Château de Cirey: seal of a Voltarian imaginary of science and threshold of a new scientific space in the eighteenth century

With illustrations, Melanie Slaviero describes the door of the «Voltaire Gallery» of the Château de Cirey, once presented by Renaud Bret-Vitoz, as «a spectacular philosophical and artistic program». A tension seems to manifest itself between the solitary aspect of the gallery and the invitation to friends to share the activity of these places. The door then appears as the threshold of a sanctuary of philosophy, in the image of its architecture which is similar to a temple. It opens onto a new space dedicated to scientific and scholarly training. Without consenting to a form of science-spectacle, this door finally testifies to an ideal that will become untenable, namely to maintain a link between science and the arts, in an era that sees mathematical language investing almost exclusively in the scientific field.

Béatrice Lovis, «Songez que c’est un capitaine bernois qui parle à Charles le Téméraire». La création des Scythes en 1767 au théâtre de Mon-Repos à Lausanne

Jusqu’à la Révolution française, la vie théâtrale romande et vaudoise a pris son véritable essor à partir des représentations des œuvres de Voltaire, au théâtre de Mon-Repos à Lausanne, en 1757 et 1758. Béatrice Lovis revient sur un événement marquant de la période qui a suivi: la création des Scythes de Voltaire, sous la direction de Constant d’Hermenches, lors de la saison hivernale de 1767. Le contexte de la création et les conditions de la représentation sont ici examinés. Entre Voltaire et Constant d’Hermenches s’engagent un «bras de fer littéraire» et un «débat politique». Mais ces différends n’affecteront pas les liens privilégiés tissés entre les deux partenaires. En témoigne le beau portrait de Constant d’Hermenches ici reproduit, et dans lequel il pose fièrement à côté d’un buste du tragédien.

Béatrice Lovis, «Think that it is a bernese captain who speaks to Charles the Bold». The creation of the Scythes in 1767 at the Théâtre de Mon-Repos in Lausanne

Until the French Revolution, the theatrical life of French-speaking Switzerland and Vaud took off in earnest with  performances of Voltaire's works at the Théâtre de Mon-Repos in Lausanne in 1757 and 1758. Béatrice Lovis looks back on a significant event in the period that followed: the creation of Voltaire's Scythes, under the direction of Constant d'Hermenches, during the winter season of 1767. The context of creation and the conditions of representation are examined here. Between Voltaire and Constant d'Hermenches engaged in a «literary tug-of-war» and a «political debate». But these differences will not affect the privileged ties forged between the two partners. Witness the beautiful portrait of Constant d'Hermenches reproduced here, and in which he proudly poses next to a bust of the tragedian.

Nicolas Morel, Dans l’ombre de Voltaire: Gabriel et Philibert Cramer, genevois avant tout

Dans Une famille genevoise, Lucien Cramer, descendant des célèbres éditeurs, présente leurs relations avec Voltaire sous l’aspect exclusif d’une «relation d’affaires» conflictuelle. L’auteur reconsidère cette relation, en recommandant d’éviter de forcer le trait sur une paresse supposée de Gabriel Cramer, en regard d’une prétendue tyrannie de Voltaire. En réalité, une grande familiarité est partagée par l’auteur et ses éditeurs, comme en témoignent de nombreuses sources. Très influente et idéalement située, la maison genevoise s’oriente vers un type d’activité qui annonce la fonction et le rôle de l’éditeur au XIXe siècle. Enfin, l’auteur évoque l’implication de Gabriel Cramer dans la société genevoise par le théâtre et la vie mondaine, et celle de Philibert dans le monde politique.

Nicolas Morel, In the shadow of Voltaire: Gabriel and Philibert Cramer, Genevans above all

In Une famille genevoise, Lucien Cramer, a descendant of the famous publishers, presents their relationship with Voltaire under the exclusive aspect of a conflictual «business relationship». The author reconsiders this relationship, recommending to avoid forcing the line on a supposed laziness of Gabriel Cramer, in relation to an alleged tyranny of Voltaire. In reality, a great familiarity is shared by the author and his editors, as evidenced by numerous sources. Very influential and ideally located, the Geneva house is moving towards a type of activity that announces the function and role of the publisher in the nineteenth century. Finally, the author evokes the involvement of Gabriel Cramer in Geneva society through theatre and social life, and that of Philibert in the political world.

Silvio Corsini et Andrew Brown, François Grasset, éditeur de Voltaire

Les auteurs s’intéressent à la figure de François Grasset, éditeur lausannois de Voltaire, dont on connaît les démêlés avec le philosophe, dans l’affaire de la publication de La Pucelle, puis celle concernant La Guerre littéraire. Mais les relations entre Voltaire et François Grasset ne se limitent pas à ces péripéties. Dans l’ordre chronologique est donnée la liste des éditions voltairiennes de Grasset, sous son nom d’éditeur ou qui lui sont attribuables. Ainsi des Pièces curieuses et intéressantes concernant la famille Calas, dont on trouve des extraits en annexe. Il en va de même de la Collection complète des oeuvres de M. de Voltaire, publiée en cinquante-sept volumes, parue entre 1770 et 1781, à laquelle Voltaire a dénié toute autorité, bien qu’il s’y soit impliqué activement. Ce qui peut amener à reconsidérer à sa juste valeur son importance éditorial.

Silvio Corsini and Andrew Brown, François Grasset, editor of Voltaire

The authors are interested in the figure of François Grasset, Voltaire's Lausanne publisher, whose quarrels with the philosopher are well known, in the case of the publication of La Pucelle, then that concerning La Guerre littéraire. But the relations between Voltaire and François Grasset are not limited to these adventures. In chronological order is given the list of Voltairian editions of Grasset, published under his name or attributable to him. Thus Pièces curieuses et intéressantes concernant la famille Calas, extracts of which can be found in the appendix. The same is true of the Collection complètes des oeuvres de M. de Voltaire, published in fifty-seven volumes between 1770 and 1781, to which Voltaire denied any authority although he was actively involved in it. This may lead to a reconsideration of its editorial importance.

Stéphanie Géhanne Gavoty, Pélerinage à Ferney : Mallet-Butini prend la plume

«Lisez mais n’emportez pas». Sont examinés ici deux manuscrits issus d’un lot de «pièces relatives à Voltaire et à son époque», conservées à la Bibliothèque nationale de France. Ils portent pour titres respectifs La bienfaisance de Voltaire dans la colonie de Ferney et Voltaire et Rousseau, dialogue des morts. Leur auteur peut être identifié grâce au Ménage et finance de Voltaire, dû à Louis Nicolardot. Il s’agit de Jean-Louis Mallet (1757-1832), répertorié dans les catalogues sous le nom de Mallet-Butini. Il a grandi à l’ombre du château de Voltaire. Un exemplaire de Genève sauvée ou l’escalade, comportant un envoi manuscrit, permet de l’identifier comme l’auteur des fascicules. Des textes publiés en annexes témoignent du «zèle plumitif de Mallet-Butini, en l’occurrence les opérations de recyclage de sa matière voltairienne”.

Stéphanie Géhanne Gavoty, Pilgrimage to Ferney: Mallet-Butini takes the pen

«Read but don't take away». Two manuscripts from a batch of «pieces relating to Voltaire and his time”, preserved at the Bibliothèque nationale de France, are examined here. They bear the respective titles La bienfaisance de Voltaire dans la colonie de Ferney and Voltaire et Rousseau, dialogue des morts. Their author can be identified thanks to Ménage et finance de Voltaire, due to Louis Nicolardot. This is Jean-Louis Mallet (1757-1832), listed in the catalogues under the name of Mallet-Butini. He grew up in the shadow of Voltaire's castle. A copy of Genève sauvée ou l’escalade, including a handwritten address, makes it possible to identify him as the author of the fascicles. Texts published in annexes testify to the «plumitive zeal of Mallet-Butini, in this case the operations of recycling of its voltairian material».

Cahiers Voltaire 19, 2020

Dossier. Voltaire et la nature: un «philosophe champêtre»?

Béatrice Ferrier et Stéphanie Géhanne-Gavoty initient ce dossier, dont la réception coïncide avec les crises actuelles, qui renforcent les interrogations concernant nos rapports avec l’environnement. En sachant que la notion de nature occupe une place prépondérante au XVIIIe siècle, il a paru opportun d’examiner la place que lui accorde Voltaire, lui qui se dénomme lui-même «philosophe champêtre», dans une lettre à Ivan Chouvalov du 19 décembre 1762. Comment appréhender les positions de Voltaire à la fois sous les angles de la réflexion théorique et de la réalité vécue? Le dossier présente à cet égard une grande variété de thèmes, d’approches et d’interprétations.

Gerhardt Stenger, Voltaire naturaliste amateur à Ferney

Prenant pour référence Les Singularités de la nature, l’auteur rapproche cet essai des positions défendues généralement par Voltaire dans le domaine scientifique. Se défiant de l’esprit de système, le philosophe concilie dans sa passion des sciences un intérêt intellectuel, une démarche expérimentale inductive, et la nécessité d’acquérir un savoir-faire pratique pour l’exploitation de ses terres ferneysiennes. Mais chez Voltaire, les sciences naturelles sont immanquablement liées à des questions philosophiques et théologiques. Celles-ci font notablement écran à l’examen de celles-là. Des «convictions» fortes marquent de leur empreinte les recherches voltairiennes proprement scientifiques. Alors, dans la balance entre le naturaliste homme de terrain et le philosophe, l’équilibre penche vraisemblablement en faveur du second.

Anne-Gaëlle Weber, Les Singularités de la nature de Voltaire et les Ansichten der Natur d’Alexander von Humboldt: pour une relecture des poétiques de la nature au tournant des XVIIIe et XIXe siècles

Le rapprochement entre les auteurs désignés part de la constatation première qu’ils abolissent tous deux la frontière entre sciences et lettres, ce qui a pu les rendre difficilement classables. Le cas des fossiles ou de la génération spontanée, retenu par chacun d’eux, illustre le doute qui peut être exprimé face aux explications scientifiques communément présentées. Certaines présentent des apories qui permettent de les rapprocher de la fable. Les Singularités de la nature voltairiennes consacrent la nécessaire défiance envers les vérités dogmatiques. A cinquante ans de distance les deux auteurs esquissent aussi une poétique de la fragmentation et de l’inachèvement, à travers leurs choix esthétiques. Avant la séparation entre les disciplines, l’essai voltairien assume la complémentarité entre style littéraire et discours scientifique.

Magali Fourgnaud, La nature dans les contes voltairiens, de Micromégas aux Oreilles du comte de Chesterfield

La fiction à l’œuvre dans les contes, et le pouvoir de l’imagination qui s’y exprime, permettent d’inciter leur lecteur à un décentrement, qui doit modifier la perception de ses rapports avec la nature. C’est l’occasion pour Voltaire de tourner en dérision les sciences naturelles, dont les fausses vérités dogmatiques apparaissent finalement comme autant de superstitions absurdes. Comme pour les lois qui régissent l’univers entier, l’entendement humain limité est incapable d’appréhender celles de la nature qui l’environnent. Une nécessaire modestie intellectuelle devrait inciter l’humanité à retrouver sa juste place dans le monde vivant auquel elle appartient, en renonçant à un anthropocentrisme hors de propos. Trop de systèmes, de coutumes et de pratiques, issus de la pensée chrétienne ou cartésienne, nuisent au respect de la vie. De nos jours encore, les contes voltairiens nous tendent un miroir, propre à susciter chez le lecteur contemporain une indispensable «empathie» à l’égard des espèces vivantes.

Alain Sager, Entre Le Philosophe ignorant et l’Aventure indienne: une éthique du vivant en herbe

Du plus petit brin d’herbe jusqu’à l’homme, peut-on identifier une continuité universelle de la chaîne du vivant? A priori, la pensée voltairienne répond à cette question par la négative, comme en témoigne par exemple l’article «Chaîne des êtres créés» du Dictionnaire philosophique. Mais sous l’influence d’un Leibniz ou d’un Fénelon, Voltaire évolue sur cette question. Tout se passe comme s’il admettait pour des raisons morales un principe de continuité qu’il rejette d’un point de vue gnoséologique. C’est ce que prouve l’une des leçons essentielles de l’Aventure indienne. Centré sur la figure de Pythagore, ce conte met en évidence la solidarité de toutes les espèces vivantes, douées de sensibilité et dignes de respect. Alors la voie est peut-être ouverte pour un «humanisme, élargi à la dimension de la nature toute entière».

Debora Sicco, Nature ou art? Voltaire et les astres comme manifestation de Dieu

La contributrice aborde l’Histoire de Jenni, replacée dans son contexte polémique, pour montrer comment la présence divine se manifeste dans le fascinant spectacle de la nature. En disciple de Newton, Voltaire est sensible à la beauté des astres. Son propos se situe sur la ligne de crête qui sépare l’athéisme des divagations métaphysiques. Il critique aussi bien les théories scientifiques de Buffon, Needham ou Maupertuis que les travaux physico-théologiques de l’abbé Pluche ou de Nieuwentijt. En réalité, l’Histoire de Jenni montre Voltaire sensible au spectacle du ciel, et en général à celui de la nature. Dieu se manifeste aux hommes dans ce temple de l’art divin, qu’ils peuvent à la fois contempler et explorer dans une certaine mesure, grâce aux outils de la science.

Anne Lagière, Voltaire philosophe laboureur: une figure anti-préromantique

C’est un Voltaire exploitant agricole que la contributrice nous donne à voir. Le rapprochement de ses écrits sur les travaux des champs et de ses réflexions philosophiques dresse le portrait d’un Patriarche «anti-préromantique». Cela signifie qu’à la lumière des réalités de Ferney, Voltaire rejette aussi bien les rêveries du «promeneur» Rousseau que l’idéalisation d’un âge d’or des rapports avec la nature. Foin des «pâtres idylliques» comme des «rêveurs spleenétiques»! En regard, il faut mettre en évidence les rudes exigences du travail de la terre, qui impliquent une exploitation rationnelle fondée sur les progrès scientifiques et techniques. «Dans la conquête d’une nature hostile, le travail humain, aussi utile que nécessaire» est «porteur de bonheur et de prospérité». En ce sens, le «philosophe laboureur» annonce «le rapport agonistique à la nature de nos sociétés contemporaines».

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Sarra Abrougui, La traversée des frontières dans le conte philosophique de Voltaire (1756-1769): de la fiction à la symbolique

A travers la littérature de voyage, la notion de traversée des frontières met à l’épreuve les connaissances et les préjugés, tout en incarnant la rencontre de l’altérité. Dans les contes voltairiens, l’esprit critique trouve une expression quasi-subversive dans le thème imaginaire du franchissement des frontières. Les personnages y connaissent un déracinement salutaire, et peuvent y éprouver un sentiment de liberté et délivrance. Mais ils font aussi l’expérience de l’universalité du mal: le symbole émancipateur de la traversée des frontières s’affronte à la réalité. Aussi des frontières doivent subsister entre la morale et la religion, le rationnel et l’absurde, le bien et le mal. A ce prix, la traversée des frontières «permet d’élargir l’espace physique aussi bien que mental et de devenir autre, estompant ainsi l’idée de centre du monde».

Ulla Kölving, Bernard-Joseph Saurin, auteur d’un compte-rendu des Institutions de physique: un billet inédit adressé à Emilie Du Châtelet

«Madame, ce serait à moi de vous remercier, les bons livres font les bons extraits et si celui que j’ai fait de votre ouvrage a quelque mérite c’est à l’ouvrage même que je le dois». Ainsi débute le billet que Bernard-Joseph Saurin (1706-1781) adresse à Emilie Du Châtelet, le 23 février 1741. Géomètre de formation, attaché un temps au comte d’Argental, Saurin aspire à une carrière littéraire. Membre de la rédaction du Journal des savants, il est chargé en 1740 d’un premier compte-rendu des Institutions de physique d’Emilie Du Châtelet. Celle-ci lui adresse ses remerciements dans une lettre aujourd’hui perdue. Le billet inédit ici publié constitue la réponse de Saurin à la physicienne des Institutions. Il y annonce un «second extrait» de l’ouvrage, qui paraîtra en mars 1741.

Ulla Kölving et Andrew Brown, L’affaire Hoensbroeck: dix-neuf lettres inédites pour la correspondance de Voltaire

«Je ne cesse pas de persuader monsieur le marquis d’Hoensbroeck à s’accorder, mais on me fait tant de remontrances qu’on me met quelquefois au bout de mon latin». Ainsi s’exprime dans une lettre à Voltaire du 16 avril 1746 Johann Peter von Raesfeld. Celui-ci a été choisi par le philosophe pour servir de médiateur dans l’affaire qui oppose les maisons Du Châtelet et Hoensbroeck depuis des décennies. Dix-neuf lettres inédites – dont onze de von Raesfeld à Voltaire, et deux missives du philosophe lui-même – sont publiées ici. Tirées des archives Du Châtelet conservées en Haute-Marne, elles s’échelonnent de juin 1745 à août 1750. On y perçoit le sens des affaires et des hommes témoigné par Voltaire, et le réalisme qu’il est capable de faire partager à ses interlocuteurs. «Croyez-moi, je vous en conjure, assoupissez tout», écrit-il de Berlin au marquis Du Châtelet, le 10 août 1750, après la mort d’Emilie.

Cahiers Voltaire 18, 2019

Dossier. Voltaire et le «sang innocent»

A l’initiative de Béatrice Ferrier et Stéphanie Géhanne-Gavoty, les auteurs sont invités à réfléchir sur une expression qui évoque en premier lieu l’ouvrage de Voltaire, intitulé Le Cri du sang innocent. Dans les trois articles publiés ci-dessous, sont présentées différentes interprétations auxquelles l’expression peut renvoyer dans l’œuvre voltairienne, sous ses diverses formes et implications.

Marc Hersant, De Meslier à Voltaire: le cri du sang innocent des bêtes suppliciées

L’auteur traite de la sensibilité voltairienne face à la souffrance animale, entre les années 1730 et 1770. Les textes de Jean Meslier exercent une influence sur la compassion grandissante de Voltaire à l’égard de l’animal supplicié. L’humour noir qui traverse le Dialogue du chapon et de la poularde aboutit, en passant par le Dictionnaire philosophique, aux conclusions d’Il faut prendre un parti, ou le principe d’action. Un des chapitres de cet opuscule s’intitule: «Du mal, et en premier lieu, de la destruction des bêtes». Le sacrifice animal devient le symbole même du mal absolu. «Voltaire en est désormais à penser que rien, pas même le massacre des humains entre eux, n’incarne plus parfaitement l’empire du mal que le sort fait par l’humanité aux animaux».

Guo Tang, Rigueur ou arbitraire? Peines cruelles dans la loi chinoise vues par Voltaire et Montesquieu

Sur les lois chinoises et leur application, Voltaire et Montesquieu représentent deux tendances opposées. Le premier considère que le système judiciaire français gagnerait beaucoup à prendre en considération le discernement avec lequel les lois chinoises appliquent les châtiments les plus graves, à commencer par la peine capitale. Au contraire, le second dénonce l’arbitraire avec lequel un régime tyrannique applique les peines cruelles. Dans les deux cas, une Chine imaginée sert des objectifs précis. Pour Voltaire, l’amélioration de la justice passe par une centralisation étatique du juridique. Pour Montesquieu, une bonne justice passe par l’équilibre des pouvoirs, dont le despotisme impérial chinois représente la négation.

Fabrice Moulin, «Entre le temple et l’autel»: réflexions sur la dramaturgie du sacrifice de l’innocent dans Les lois de Minos (1773)

Dans la tragédie voltairienne, comment se manifeste le lien que le dramaturge établit communément entre le fanatisme moderne et la barbarie des sacrifices humains ancestraux? De La Henriade aux Lois de Minos, les affaires Calas et du chevalier de la Barre ont cristallisé chez Voltaire les effets de ce terrible rapprochement. Sa dimension tragique aurait dû prendre toute son ampleur dans la pièce de 1773. Or elle se heurte à une contradiction insurmontable. L’exaltation de la puissance tragique sublime du sacrifice barbare (un «moment Athalie» exacerbé) fait place à la dénonciation de l’Infâme sur l’autel de la raison (mais c’est un «moment Polyeucte» affadi).

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Jean-Paul Sermain, Paradoxes politiques et poétiques dans quelques tragédies de Voltaire

L’auteur se propose de dégager la «poétique immanente» d’une série de tragédies voltairiennes, dans l’optique d’en évaluer «les degrés de contradiction et de paradoxe». Chez Voltaire, la tragédie ménage un espace pour «la mécanique de la réversibilité des situations et des idées», dans une grande diversité d’applications. Est ainsi examiné «le renversement tragique» à l’œuvre dans Œdipe, Mahomet et Zaïre. De leur côté, Mérope, Brutus, Sémiramis ou Alzire figurent un «compromis pathétique» entre le conflit politique qui s’y déroule, et le conflit tragique intérieur, propre au personnage principal. L’attention du spectateur ou du lecteur est sollicitée, pour «repérer les significations divergentes sinon contraires» de la tragédie, dont l’intelligence poétique voltairienne a ouvert les voies.

Catherine Ramond, Rire avec Voltaire? La question du comique dans les comédies voltairiennes (1718-1749).

Comment expliquer la contradiction entre le potentiel comique voltairien et la déficience de ses comédies dans ce domaine? A l’image de son siècle, la comédie chez Voltaire se situe entre une veine comique moliéresque, les réticences exprimées à l’égard du bas comique, et une tendance moralisante. Les comédies voltairiennes sont des pièces d’idées, portant sur des questions sociales (mésalliances ou sociabilité mondaine) et reposant sur des attendus moraux (le vice et la vertu). L’amour et le statut de la femme y trouvent place. En définitive, on observe que Voltaire fait évoluer la comédie «vers un genre nouveau, qui n’a pas encore de nom».

François Jacob, 1778-2018: Voltaire revient

Il s’agit du texte de l’allocution prononcée le 31 mai 2018, à l’occasion de la réouverture du château de Ferney rénové. Pour Voltaire, la période ferneysienne est marquée par les grandes affaires liées à l’intolérance et au fanatisme. Mais il s’intéresse de près à celles du pays de Gex. François Jacob décrit également l’existence quotidienne au château. Liberté et liberté d’expression sont «les deux moteurs» de la vie à Ferney. Dans ce «pôle excentré des Lumières», intimité familiale, vie sociale, vie intellectuelle et rénovation du château (déjà!) représentent «les quatre éléments du bonheur de Voltaire à Ferney».

Christophe Paillard et Natalia Speranskaya, Un cocher «robuste» et adroit. Jean-François Morand, auteur de la maquette du château de Voltaire (1777)

Pour la rénovation du château de Ferney, un élément a joué un rôle déterminant dans l’opération conduite par le Centre des monuments nationaux. Il s’agit du «plan en relief» réalisé par Jean-François Morand, ce «cocher» de Voltaire, qui a d’ailleurs recueilli ses dernières paroles. Le dernier état connu du château de Ferney est l’œuvre d’un simple domestique. Se présentant comme une véritable maquette, ce «plan»  surpasse en réalisme ceux de l’architecte Léonard Racle. On comprend qu’il représente une source essentielle d’autorité: «les petites mains font parfois de grandes œuvres». Des reproductions en couleur illustrent le texte de l’article.

Sergueï Karp, Le destin de la «Voltairiade» de Jean Huber

Neuf scènes de la vie domestique à Ferney par Jean Huber sont conservées au musée de l’Ermitage, à Saint Pétersbourg. Or, l’auteur a exhumé aux Archives des actes anciens de Moscou une liste de ces œuvres établie par Grimm. On s’aperçoit que les sujets mentionnés n’y correspondent pas toujours aux désignations traditionnelles. Surtout, Grimm énumère douze tableaux. Que sont devenus les trois qui manquent? L’auteur nous donne de nouvelles informations à ce sujet. Le premier tableau est visible au Musée national du château de Versailles. La recherche du second nous met sur les traces du Musée du Vatican, mais aussi sur celles des ventes aux enchères chez Sotheby’s et Christie’s. On n’a pas encore retrouvé la trace du troisième, même si l’on peut espérer qu’il réapparaîtra un jour. Des reproductions en couleurs figurent dans le texte de l’article.

Gwenaëlle Ledot, «Etait-ce le même jour, était-ce le lendemain…?» Présence de Voltaire dans trois fictions biographiques du XXIe siècle

Quelle image la fiction biographique donne-t-elle aujourd’hui de Voltaire et de son œuvre? Dans Un été chez Voltaire, Jacques-Pierre Amette décrit l’arrivée à Ferney de deux comédiennes italiennes, venues répéter Mahomet. Dans Le Diable s’habille en Voltaire, Frédéric Lenormand «mêle à la fiction biographique les codes du genre policier». Dans A la Voltaire, roman à l’ancienne, Vassili Axionov conjugue des représentations de Sémiramis avec une rencontre fictive entre Voltaire et Catherine II. A chaque fois, la représentation  de l’homme de théâtre voltairien est mise «en tension» avec celle du «philosophe engagé», tandis que se construit «une certaine image d’auteur».

Cahiers Voltaire 17, 2018

Dossier. (Se) représenter Voltaire aujourd’hui

Béatrice Ferrier et Stéphanie Géhanne-Gavoty proposent ce dossier, en rappelant tout d’abord l’anthologie de Raymond Trousson, Visages de Voltaire, «où se croisaient les voix discordantes des voltairiens et des anti-voltairiens». Puis elles interrogent: «qu’en est-il aujourd’hui où, s’il n’y a plus d’Arouétistes, on se réclame de Voltaire autant qu’on s’en défie? Ce dossier ambitionne d’interroger ces antinomies dans la représentation de Voltaire, ainsi que les textes et les images qu’elles suscitent, aussi bien en France qu’à l’étranger». Les quatre contributions suivantes traitent le problème soulevé.

Alain Sandrier, L’Infâme au présent: Rushdie voltairien?

L’interprétation de Voltaire par Salman Rushdie semble souffrir de biais imparfaits ou distanciés, comme dans Joseph Anton, l’autobiographie des années cachées, ou dans son jugement sur le fameux «jardin» de Candide. La bataille contre l’Infâme se présente chez les deux auteurs dans des configurations distinctes du rapport au religieux. Mais Voltaire et l’auteur des Versets sataniques se répondent par «une même façon d’éprouver en tant que penseurs publics [...] les menaces palpables et sans cesse ravivées envers l’expression du doute et de l’indifférence, ainsi qu’envers l’expression d’une défiance de principe envers le théologico-politique». Donc, souligne l’auteur, «il est temps de lire Voltaire et Rushdie ensemble pour apprécier ce que Rushdie a de voltairien».

Alain Sager, L’actualité du Dictionnaire philosophique à travers sa réception, 1994-2017

L’auteur se propose d’évaluer la réception du Dictionnaire philosophique dans la période considérée, sous le double chef du statut philosophique de l’ouvrage, et du thème de l’intolérance et du fanatisme. L’année 1994 constitue à cet égard un moment privilégié. Si l’on trouve dans l’ouvrage de 1764 une typologie générale du fanatisme, des hésitations et des restrictions ont pu se manifester à l’égard de sa pertinence dans notre modernité. La résurgence des extrémismes religieux et les tragiques événements de l’année 2015 à Paris ont réactivé, au-delà de l’image du philosophe critique et sceptique, la dimension d’un Voltaire capable de payer de sa personne, jusqu’à prendre des risques en faveur de ses convictions. Le Dictionnaire philosophique ne semble jamais perdre cette capacité d’impulser «du mouvement pour aller plus loin», dans la vie de l’esprit et les pouvoirs de l’action.

Thibault Dauphin, L’officiel et l’homme de paille: les «deux Voltaire» de la société française face au retour du fait religieux

Si les études voltairiennes font preuve de réserve et d’impartialité, l’auteur identifie deux figures contrastées de Voltaire dans le contexte contemporain général de la République française. D’un côté, on trouve un discours officiel, étatique et scolaire, et de l’autre côté une propagande anti-voltairienne caricaturale. Certes, ces deux représentations ne sont pas équivalentes. Le discours officiel, quoique souvent réducteur, «vise à légitimer par l’autorité du philosophe un certain nombre de valeurs républicaines». L’autre discours cherche à remettre en cause ces valeurs mêmes au moyen de la manipulation et du mensonge: Voltaire y devient «l’homme de paille» de l’intolérance et de l’hostilité à la religion. En ces temps troublés, les voltairistes doivent se faire les gardiens de la nuance, de la prudence et de la complexité dans l’abord du continent voltairien.

Nadège Langbour, La représentation de Voltaire dans la littérature de jeunesse: entre l’image du patriarche et celle de l’écrivain engagé

L’auteur examine successivement quatre romans et un album, conçus autour de la figure de Voltaire, à destination des élèves de l’école primaire et du collège en France. L’album s’intitule Les passions d’Emilie, par Elizabeth Badinter et Jacqueline Duhême. Anne Jay propose un roman historique, La Demoiselle des Lumières, fille de Voltaire (Marie-Françoise Corneille). Xavier Armange évoque Le Prisonnier de la bibliothèque (autour de la querelle Rousseau-Voltaire). Enfin, Frédéric Lenormand s’est attaché à Voltaire, l’enfance d’un génie. Au cours d’une étude poussée des ouvrages considérés, Nadège Langbour remarque que les enjeux didactiques et ludiques s’y doublent d’un parti-pris militant. Elle conclut: «il semble bien que l’objectif premier des écrivains pour la jeunesse ne soit pas tant de dispenser des connaissances au jeune lecteur que de lui apprendre à penser».

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David Smith, A la poursuite du Tombeau de la Sorbonne: de Destouches et Mme de Graffigny à Elie Luzac fils

L’auteur retrace le parcours qui l’a conduit à éclairer et compléter la bibliographie et l’histoire de la publication du Tombeau de la Sorbonne, cette reprise satirique de l’Apologie de monsieur de Prades. Tout part d’une lettre de Destouches à Mme de Graffigny, dans laquelle est niée l’attribution du texte à Voltaire. Reprenant les contributions d’Olivier Ferret et de Nicholas Cronk à l’égard de ce texte, l’auteur recense deux manuscrits et ses différentes éditions. Il identifie Elie Luzac fils (1723-1796), imprimeur-libraire de Leyde, comme l’éditeur du Tombeau de la Sorbonne, datant de 1752. Ayant constaté l’existence d’au moins quinze exemplaires de cette édition, l’auteur conclut que «lorsqu’on sait qu’une édition existe, il faut employer tous les moyens pour en localiser un exemplaire».

Pierre Leufflen, Voltaire à Châtenay

Avec le concours de nombreuses illustrations, l’auteur nous convie à un parcours historique et topographique à travers cette ville du sud parisien, dont le nom évoque à la fois les problématiques de la date et du lieu de naissance de Voltaire. Pierre Leufflen évoque la résidence de campagne de François Arouet (démolie en 1854), puis l’exil de Voltaire à Châtenay en 1718. Plus tard, un premier buste a été posé sous Louis-Philippe, visible encore sur la prétendue maison natale de Voltaire, tandis qu’un second apparaît en 1906 à l’initiative de la Société des arouétistes. En 1933, une statue de «Voltaire à 25 ans» est réalisée par Emile Lambert (elle est fondue en 1942 par les Allemands). Pour finir, l’auteur rappelle les initiatives que Jean Paulhan (1884-1968) prend à Châtenay autour de la figure de Voltaire, de concert avec Jean Longuet, gendre de Karl Marx.

Cahiers Voltaire 16, 2017

Claude Habib, Marc Hersant, Myrtille Méricam-Bourdet. Table ronde au Panthéon sur l’affaire La Barre, 16 novembre 2016

Une table ronde, rassemblant André Magnan, Claude Habib, Marc Hersant et Myriam Méricam-Bourdet, s’est déroulée à propos de l’affaire La Barre le 16 novembre 2016 au Panthéon, à Paris. Marc Hersant a rappelé que cette affaire «nous interpelle (…) notamment par la question qu’elle pose de la pénalisation du blasphème et de l’impiété, qui est redevenue d’une actualité inquiétante», ce thème étant également traité par Claude Habib. Myrtille Méricam-Bourdet a détaillé la procédure criminelle suivie en l’occurrence: «si le combat voltairien trouve une pertinence, elle se trouve dans la distinction entrele légal et le légitime, et c’est bien au nom de cette dernière notion qu’il prétend faire évoluer les choses». Claude Habib est revenue sur le thème «Voltaire et nous», pour souligner son rôle actuel d’«inspirateur» contre les formes d’intolérance et de cruauté dont les «monstruosités du fanatisme islamiste» représentent une expression actuelle. Les contributions d’André Magnan seront publiées dans les CV 2018.

G.K. Noyer, La campagne «Ecrasez l’infâme» a-t-elle influencé l’Amérique?

Sous l’effet d’une résurgence du fondamentalisme chrétien, les Lumières françaises ont disparu des manuels secondaires américains, à partir des années 2000. G. K. Noyer se demande s’il est pertinent d’effacer l’influence de Voltaire et de ses écrits concernant la religion dans la fondation des Etats-Unis. L’auteur s’intéresse au cas des pères fondateurs de la nation américaine, de Thomas Jefferson à John Adams, en examinant la connaissance qu’ils avaient de Voltaire et les jugements qu’ils ont eux-mêmes portés. Pays neuf, l’Amérique a partagé la vision voltairienne d’un culte religieux épuré, dans le temps même où les fondements de la démocratie ont été établis. L’Américain moyen d’aujourd’hui ne gagnerait-il pas à retrouver ces «principes de base» de l’Enlightenment?

Hélène Cussac, Topoï sur le coryphée de la secte dans quelques histoires littéraires de la Troisième République

Pour mieux cerner l’évolution des mentalités et de l’école face aux Lumières, Hélène Cussac examine trois manuels littéraires rédigés par des ecclésiastiques, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, à une époque où les rapports entre l’Eglise et l’Etat traversent une période mouvementée. Les auteurs multiplient réticences et critiques à l’égard de Voltaire auteur de théâtre. Mais ni le poète ni le romancier ne trouvent davantage grâce à leurs yeux: «malgré la reconnaissance – inévitable – de quelques mérites», ils «englobent l’homme, l’écrivain et le combattant dans une même posture d’exécration». Il en va de même concernant Voltaire épistolier ou historien. A chaque éloge répond un jugement réprobateur à l’égard du coryphée de la secte. Le paradoxe réside dans le fait que nos auteurs adoptent une posture et des topoï anti-voltairiens, dans le temps même où ils souhaitent faire connaître aux élèves «les productions de l’esprit humain dignes d’être transmises à la postérité».

David Adams, Une appréciation inédite de Voltaire?

David Adams a tiré de sa collection personnelle le manuscrit qu’il retranscrit ici, et qu’il a acquis chez un marchand d’autographes, sans indication de provenance ni d’auteur. On peut néanmoins le situer autour des années 1830-1850. Il s’agit très probablement d’une allocution revue et corrigée à l’intention d’un public lettré. Ce texte peut servir à mieux cerner la réputation posthume du philosophe dans le cadre des controverses qu’il n’a cessé de susciter au cours du demi-siècle qui suit son décès. Suivant une approche dualiste, le texte fait ressortir les mérites et les prétendus défauts de Voltaire, en faisant entendre les «échos étrangement familiers des débats que suscitent aujourd’hui encore les positions du chef des Lumières».

Laurent Loty, Les Mémoires de Candide de Delisle de Sales, sur la nation et la confédération européenne en 1802

En 1802, Delisle de Sales (1741-1816) publie des Mémoires de Candide, qui éclairent de manière significative la situation et les mentalités d’une époque marquée par la fin de la Révolution française. L’ouvrage propose une formule de confédération européenne proche du Projet de paix perpétuelle kantien, à travers une réactualisation du conte voltairien de 1759. A la recherche d’un «optimisme politique», la philosophie paradoxale des Mémoires de Candide «se doit de penser les critères universels des droits des citoyens», tout en se trouvant dans «l’obligation de gérer la question des Nations», prévalente en 1802.

Damien Chardonnet-Darmaillacq, Voltaire Pygmalion! La promotion intéressée du comédien LeKain

Quelles sont les conditions réelles qui ont présidé à la rencontre de Voltaire et du fameux comédien LeKain? Voltaire émerveillé a-t-il aidé LeKain pour le seul amour de l’art? En réalité, le comédien représente «un investissement» dans lequel le tragédien «a trouvé un poulain et décide de le former à sa manière». Car «ce qui se joue c’est la construction d’une alliance entre deux hommes pour prendre pied dans la plus grande maison de théâtre» nationale (la Comédie-Française). L’auteur de l’article retrace les multiples péripéties et tribulations d’une «alliance» que seule devait rompre la mort de ses deux protagonistes, à quelques mois d’écart en 1778.

Gilles Plante, Le paysan parvenu de Marivaux, ou l’art consommé de persifler Voltaire

Marivaux est-il demeuré seulement velléitaire dans ses projets de critiquer Voltaire, ou bien faut-il approfondir le propos et révéler des aspects beaucoup plus profonds des intentions du dramaturge? Gilles Plante défend et illustre cette seconde hypothèse. Il reprend les éléments constitutifs du Paysan parvenu. Dénombrant une quarantaine de rapprochements, il démonte l’écheveau des subtilités par laquelle Marivaux articule son ouvrage à la vie, à la personne, à l’entourage et à l’œuvre de Voltaire. L’art de Marivaux est tel que «le persiflage atteint ici à un niveau d’hermétisme presque parfait et donne le change à tout le monde ou presque, sauf à l’intéressé lui-même, on s’en doute»…

Cahiers Voltaire 15, 2016

Henri Duranton, Voltaire 1711-1722, ou les tribulations d’un jeune poète pressé

La recherche voltairienne a toujours déploré le peu de documentation disponible sur les années d’apprentissage du jeune poète Voltaire, de son entrée dans les monde jusqu’au triomphe d’Œdipe. L’auteur s’attache à répondre aux deux questions suivantes: par quelles voies Voltaire est-il parvenu à l’éclatante réussite, qui fait oublier Arouet et assure la notoriété de M. de Voltaire? Mais aussi comment expliquer les deux faux pas de l’exil à Sully et de la détention à la Bastille, qui ont failli le mener à sa perte? Henri Duranton reprend les circuits de la vie littéraire au début du XVIIIe siècle, avant d’insister sur «les atouts d’un surdoué». La rapide ascension du jeune Voltaire stupéfie les observateurs. Elle est aussi le fruit des «stratégies d’un caméléon», qui se livre à des activités multiples et saisit toutes les opportunités. Mais la fréquentation de la duchesse du Maine, et sa participation à la campagne souterraine contre le Régent, entraînent Voltaire sur les voies de l’exil et de l’embastillement. Il faudra l’éclatant succès d’Œdipe pour métamorphoser en M. de Voltaire l’écrivain ordinaire, l’amuseur mondain et le damnable poète calotin.

François Jacob et Justine Mangeant, Zaïre, actes II (fin) et III: un manuscrit oublié. Présentation, établissement du texte et notes

Le 20 mai 2015, l’Institut et Musée Voltaire de Genève a acquis une édition de La Pucelle d’Orléans, dont l’un des volumes est enrichi de manuscrits. Parmi eux, l’«extrait d’un manuscrit de la tragédie de Zaïre, avec ratures et corrections autographes de Voltaire». Les auteurs en proposent une retranscription fidèle et rigoureuse. Il aura fallu attendre 184 ans pour qu’un tel document ressurgisse. Il est intéressant de se demander comment et à quelles fins a été constitué le recueil dans lequel figure ce manuscrit de Zaïre. Ses vingt-trois pages n’ont-elles pas été soustraites à un ensemble plus vaste, à la suite d’une refonte du canevas dramatique? On peut dater au plus tard de 1732 la rédaction de cette copie et sa relecture par Voltaire. Mais qui donc est le copiste? Les auteurs écartent l’hypothèse du sieur Minet, souffleur et secrétaire de la Comédie française, comme celle d’une transcription pour Formont et Cideville à Rouen. Gardons donc seulement en mémoire l’ultime voyage accompli par le manuscrit, vraisemblablement passé en plusieurs mains avant d’arriver jusqu’aux rivages du lac Léman, au printemps 2015.

Natalia Speranskaya, Les armoiries de Voltaire: marque de noblesse?

Il n’existe pas d’étude spécifique concernant les armoiries de Voltaire. Pourtant, trois reliures d’ouvrages de sa bibliothèque, conservées à la Bibliothèque nationale de Russie, invitent à un tel examen. Il s’agit de l’Histoire du règne de Charles V, de W. Robertson, de la seconde édition du traité de Chastellux, De la félicité publique, et de l’Eloge de messire Guy-Louis Henri, de C. C. Courtin. Les armoiries foulées en or de ces deux derniers ouvrages représentent les armes de Voltaire: trois flammes sur un écu ovale, avec des variantes (une couronne de marquis figure dans un cas, une couronne de comte dans l’autre). Quelles sont les vraies armoiries de Voltaire, et que signifient ces différentes couronnes? Voltaire arbore communément ces armoiries sur son cachet aux lettres et dans le décor du château de Ferney. Ces armes personnelles furent créées sur la base du blason de son père, François Arouet. A Ferney, ces armoiries étaient perçues par des visiteurs comme des signes de noblesse, mais des non-nobles les utilisaient communément en France au XVIIIe siècle.

Stéphanie Géhanne-Gavoty et Ulla Kölving, Les lettres de Voltaire à Damilaville: état des lieux

L’édition critique en cours de la Correspondance littéraire de Grimm relance l’intérêt pour l’histoire des lettres adressées par Voltaire à Damilaville, dont les feuilles de Grimm ont assuré une large diffusion. Il s’agit d’un des ensembles les plus marquants de la correspondance de Voltaire, pourtant mal connu, et dont les éditions successives peuvent être entachées d’altérations diverses. Les auteurs dressent le portrait de Damilaville et situent sa correspondance avec Voltaire. Suit une étude précise des lettres originales qui réfère à leurs différentes sources (les manuscrits originaux, ceux de la Correspondance littéraire, des copies anciennes de Wagnière, etc). L’article présente des remarques concernant la publication des lettres par Besterman, avant de proposer une liste des différentes éditions de la correspondance, depuis 1784 (1789), l’édition de Kehl, à 1860. Enfin, «trois Epîtres aux fidèles, par le grand apôtre des Délices» permettent de réévaluer la place de Damilaville, notamment comme «rouage essentiel et irremplaçable de l’atelier d’écriture de Voltaire». De même, un éclairage significatif est apporté sur «la place de Grimm au sein de l’agence de Ferney». Comme esprit du commerce voltairien et organe de ralliement philosophique, la Correspondance littéraire de Grimm est bien «un modèle du genre» (Lanson).

Alain Sager, Voltaire et l’abbé de Tilladet: la vérité au miroir d’un pseudonyme

On sait que Voltaire a attribué à l’abbé de Tilladet un certain nombre de ses ouvrages. Pourquoi un tel emprunt? Et peut-on identifier des interrogations ou des thèses communes à l’ensemble de ces écrits? La personnalité de l’abbé, à l’identité incertaine et menacée, se prêtait sans doute à une usurpation de son patronyme. Mais surtout, la critique historique représente un trait d’union entre l’abbé de Tilladet et Voltaire, même si l’usage qu’en font l’un et l’autre diffère profondément. Car les ouvrages attribués par Voltaire à l’abbé se caractérisent essentiellement par la critique des textes sacrés. L’abbé sert également de caution à la vérité métaphysique du déisme voltairien et à l’affirmation de certaines vérités d’ordre plus général: l’évidence mathématique, mais aussi l’éternité du premier principe. Enfin, l’examen de l’opuscule Il faut prendre un parti, ou le principe d’action met en évidence un point extrême de la réflexion du «faux abbé», qui esquisse un dépassement de la vision newtonienne de l’univers et du théisme voltairien proprement dit.

Vincent Lesage, Entre art et religion: l’imagination chez Voltaire, de l’Encyclopédie aux Questions sur l’Encyclopédie

Comment concilier ces deux facettes de la personnalité de Voltaire: celui qui «écrase l’infâme» et le jouisseur mondain qui défend les arts? C’est possible au regard de certains textes qui affirment qu’un certain art de vivre est propre à écarter les esprits des ouvrages qui incitent au fanatisme meurtrier. L’auteur s’attache à l’examen d’un certain nombre d’articles du Dictionnaire philosophique («Enthousiasme», «Chaîne des êtres créés», «Transsubstantiation») et des Questions sur l’Encyclopédie, d’ «Alcoran» à «Passions», sans oublier l’article «Imagination» dont Voltaire a donné sous ce titre une version pour l’Encyclopédie. Voltaire distingue entre l’imagination passive, qui entretient des illusions et des émotions dangereuses, et l’imagination active, instrument de connaissance et de création, inséparable du goût. L’enthousiasme qui saisit l’homme de goût est tout le contraire d’une aliénation. La critique du dogmatisme religieux peut donc apparaître comme le fruit du progrès esthétique. «Voltaire mondain, dramaturge et poète a peut-être formé Voltaire philosophe».

Jean Goldzink, L’Histoire de Jenni, quel bilan?

L’auteur revient sous forme de bilan sur les articles publiés par les CV (14, 2015) concernant l’Histoire de Jenni (suite à la journée d’étude de l’Université de Nanterre en avril 2015). Il compare les réponses proposées par ces contributions à quelques questions qui traversent ces approches du conte voltairien. Sur le «sens et les formes textuelles», un gros travail de clarification reste à opérer sur les rapports entre narration et signification de l’Histoire de Jenni, à la lumière de ce que l’auteur nomme des opérations de pensée esthétique. S’agissant de «l’ordre des raisons» exposé dans le conte, l’auteur évoque le débat engagé pour et contre l’athéisme, avant de proposer neuf points essentiels, sur lesquels un accord pourrait se dégager concernant l’interprétation générale du texte.

Alain Sager, L’Histoire de Jenni, un conte pré-kantien stimulant et réussi

L’Histoire de Jenni est souvent appréhendée par les critiques comme un conte raté et décevant. Pourtant, comme jalon sur la voie du criticisme kantien, il paraît au contraire stimulant et réussi. En particulier, la «dispute» sur l’athéisme entre Freind et Birton paraît entachée de faiblesses dans le raisonnement. Or, les deux protagonistes semblent incarner à l’avance la «thèse» et «l’antithèse» de la quatrième antinomie kantienne de la Critique de la raison pure. De même, on trouve dans les deux ouvrages un même souci de dégonfler les baudruches métaphysiques et de souligner les limites de la raison humaine. Le «saut» final dans la croyance effectué par Birton évoque le fameux passage de la Préface à la seconde édition de la Critique de la raison pure: «je devais donc supprimer le savoir pour trouver une place pour la foi». Enfin, le rôle de garantie morale attribué par Voltaire à un Dieu rémunérateur et vengeur préfigure le troisième postulat kantien de la raison pratique. Certes, Voltaire n’est pas déjà kantien, mais L’Histoire de Jenni prépare nombre d’assertions du criticisme de Kant.

Nicolas Morel, Œdipe de Voltaire après Voltaire: Flaubert à l’œuvre

En 2005, l’Institut et Musée Voltaire de Genève a fait l’acquisition d’une pièce qui lui manquait: le manuscrit de dix-huit pages que Flaubert a consacré à l’Œdipe de Voltaire. L’auteur explore d’abord les différentes hypothèses émises relativement à l’intérêt de Flaubert pour le théâtre de Voltaire: c’est le moment où le jeune écrivain se cherche, et manifeste peut-être une sorte de respect filial à l’égard de  son illustre prédécesseur. Mais dès Œdipe, la lecture de Flaubert est ambivalente et évolue vers une franche critique. Les notes de Flaubert traduisent surtout l’écart qui sépare deux époques et deux contextes d’écriture. Ce qui peut amener à se poser la question suivante: peut-on encore comprendre l’Œdipe de Voltaire après Voltaire? Nicolas Morel propose enfin une transcription complète du manuscrit de Flaubert.

Cahiers Voltaire 14, 2015

L’Histoire de Jenni, journée d’étude (Université Paris-Ouest Nanterre, 9 avril 2015)

Colas Duflo, L’Histoire de Jenni: problèmes et perspectives

Les sept contributions suivantes ont été produites à l’occasion de la journée d’études, organisée à l’Université Paris-Ouest Nanterre le 9 avril 2015, par l’équipe Litt&Phi de cet établissement. Le conte voltairien en question a été en général mal reçu par la tradition voltairienne. Il déçoit à cause de sa fiction poussive et de sa médiocre argumentation. Qu’est-ce que ces critiques révèlent au sujet de ce texte dédaigné, «et du rapport qui s’y noue entre propagande philosophique et récit romanesque»?

Colas Duflo, Comment rater un conte philosophique?

L’Histoire de Jenni n’a pas très bonne presse, même parmi les voltairiens. Quels sont les critères permettant d’avancer que le conte serait une œuvre ratée, non pas en opposant ses forces et ses faiblesses supposées, mais à la lumière des choix voltairiens eux-mêmes, dans leur logique d’écriture? Faut-il mettre en cause la «philosophie faible» du conte, son argumentation circulaire, ou le caractère décevant du récit? Avec L’Histoire de Jenni, Voltaire a-t-il choisi de ne pas faire ce qu’on attendait de l’auteur de Zadig ou de Candide? On touche peut-être à la limite du conte comme genre littéraire, et «à la possibilité même de philosopher par fiction». Un conte philosophique peut-il être aussi réussi dans la défense d’une thèse que dans une posture sceptique?

Gerhardt Stenger, Voltaire et le fatalisme: du Poème sur le désastre de Lisbonne aux derniers contes

Retraçant l’évolution de la pensée voltairienne sur le problème du fatalisme, l’auteur considère comme centrale dans L’Histoire de Jenni la question suivante: «comment ou sur quoi fonder une morale fataliste», ou encore: comment persuader les hommes de lutter contre leurs mauvais penchants? C’est l’occasion pour Voltaire d’ «étaler» son credo théiste, «quoique sur le mode mineur». Alors que Birton reconnaît l’impossibilité de démontrer l’existence de peines futures dans l’au-delà, Freind se borne à défendre leur utilité politique et sociale. Le débat entre les deux protagonistes du conte révèle que jamais auparavant chez Voltaire «l’écart entre les deux systèmes, théiste et athée, n’a été réduit à si peu de chose».

Alain Sandrier, De l’horrible danger de l’athéisme ou les infortunes du roman militant: mises en scène littéraires de l’incroyance dans la Confidence philosophique et L’Histoire de Jenni

Le conte de Voltaire gagne à être éclairé par la confrontation avec l’une de ses sources probables, à savoir la Confidence philosophique du pasteur Jacob Vernes, roman de propagande dirigé contre l’athéisme. Les deux ouvrages se donnent pour but de dénoncer l’incroyance des esprits forts. «La grande hantise qui traverse les deux récits», c’est bien «celle du désir sans entrave placé du côté d’une option existentielle matérialiste et hédoniste». Mais la confrontation des deux ouvrages, et le chassé-croisé dont ils sont eux-mêmes l’expression, trahissent chez leurs auteurs respectifs «deux conceptions instables derrière des ressemblances de façade». A l’image de l’histoire des relations pleines de «mauvaise foi» qu’entretinrent le déiste affiché et le ministre protestant mâtiné de socinien.

Laurence Vanoflen, L’Histoire de Jenni. Questions de forme: narration adressée et recherche de communauté?

Si l’on met à part les Lettres philosophiques, le conte voltairien ici examiné se présente comme le seul texte dans lequel Voltaire utilise la forme du monologue épistolaire. A la faveur de ce procédé, un narrateur répond à la demande de récit d’un destinataire absent. Une sorte de communauté amicale s’instaure dès lors entre le narrateur et son lecteur virtuel. Cette connivence permet avant tout d’insister sur l’utilité sociale et morale de la croyance, davantage que sur l’indécidable vérité métaphysique de la religion. Un tel procédé est conforme à la stratégie voltairienne, qui consiste à faire adhérer son lecteur à la figure de Freind, pour favoriser la promotion de l’intérêt de tous.

Magali Fourgnaud, La mise en scène de la parole dans L’Histoire de Jenni

Dans ce conte voltairien, la dimension fictive du texte se manifeste dans le texte lui-même. Le personnage de Freind apparaît à la fois comme le porte-parole de Voltaire et comme un être de fiction. C’est l’occasion d’illustrer une pratique à l’œuvre dans le conte voltairien en général. Elle consiste à tenir le lecteur en éveil dans une expérience philosophique active, en lieu et place d’une réception intellectuelle passive. Le dithyrambe outré dont Freind est l’objet crée une distance ironique au sein même de la narration. Elle traduit la volonté voltairienne d’éviter les apologues moralisateurs et les discours édifiants. L’homme doit être conduit sur le chemin d’un comportement moral, en partant d’un rejet raisonné des différentes formes que son aliénation peut prendre.

Stéphane Pujol, L’Histoire de Jenni, ou la conversion des Gentils

Où se situe Voltaire dans ce conte? Dans la Bible, les Gentils sont les méchants. L’Histoire de Jenni ne s’adresse-t-il pas explicitement à eux, en tant que matérialistes athées, conformément à l’attente d’un lecteur prévenu? Examinant la conversion de Birton , l’auteur relève «certains effets ironiques produites par une voix narrative plus complexe qu’il n’y paraît». La balance penche à la fin du «bon côté», mais la conversion de l’athée n’apparaît-elle pas comme «une fiction dans la fiction»? Voltaire, qui s’amuse tout en étant sérieux, se situe quelque part entre le narrateur et les deux protagonistes. Car le conte peut finalement se décrire comme une scène, où se discutent à la fois les certitudes déistes et les hypothèses matérialistes, mais aussi «quelques convictions communes aux deux camps». Tout en feignant de triompher, Voltaire balise ainsi «les termes d’un accord possible avec ses propres adversaires».

Jean Goldzink, Voltaire entre l’athée et le superstitieux dans L’Histoire de Jenni

Dans ce texte, présenté en marge de la journée d’étude de Nanterre, l’auteur reconstitue le parcours logique du conte, du double point de vue de la narration et de l’argumentation. Il examine «les structures textuelles du récit», met en évidence «la satire de la superstition catholique», traite de «l’athéisme comme débauche et amoralité», et envisage enfin «le duel oratoire sur Dieu, la Nature, l’Homme». L’Histoire de Jenni doit-elle être considérée comme «force de conviction» ou comme «farce philosophique»? Quel que soit le statut qu’on y accorde à l’ironie, le sage théiste voltairien se situe sur la ligne de crête qui sépare l’athée (avec qui on peut dialoguer) et le fanatique superstitieux (qu’il faut vaincre à tout prix).

Marie Fontaine, Zaïre, «revers» de Polyeucte, ou la croisade de Voltaire contre les croisades (et autres manifestations du fanatisme)

Zaïre fait débat au regard de ses sources et de son sens. L’auteur de l’article reprend une suggestion avancée dès avril 1733, et présentant la pièce voltairienne comme «le revers de Polyeucte». Qu’entendre par cette expression, et que vaut ce jugement à nos yeux contemporains? De premiers indices confirment cette interprétation de Zaïre, dans le sens d’un parallélisme et d’une confrontation avec la pièce de Corneille. A ce titre, l’ouvrage voltairien peut apparaître comme une parodie tragique (plaignant l’amour), «à revers» de Polyeucte (tragédie chrétienne exaltant la grâce). Mais pour Marie Fontaine, Zaïre représente avant tout l’invention d’une parodie tragique humaniste, «à revers» de toute tragédie religieuse dans laquelle des hommes sont prêts à mourir ou à tuer au nom de Dieu.

Isabelle Ligier-Degauque, Parole et incarnation du pouvoir dans Le Fanatisme ou Mahomet le prophète de Voltaire

Le Fanatisme ou Mahomet le prophète se présente d’emblée comme un vaste combat oratoire qui oppose essentiellement la parole du fondateur de l’Islam à celle de Zopire. Mais le verbe, même s’il est divin, peut-il à lui seul assurer le contrôle des foules? La lutte pour savoir par qui le pouvoir sera incarné n’est-elle pas plus décisive que la joute verbale? Les assauts de la parole sont donc concurrencés par la puissance de l’image. «La force de Zopire est de faire corps avec l’image du contre-pouvoir là où Mahomet doit façonner son image pour éviter que l’homme privé ne se laisse deviner derrière le dirigeant politique et religieux». Pour figurer le pouvoir, Mahomet est finalement condamné «à ne faire qu’un avec son masque».

Alain Sager, Mahomet amoureux, héros «gothique»?

Incontestablement, Le Fanatisme ou Mahomet le prophète met en scène un dominateur drapé dans un manteau religieux, qui satisfait sa volonté de puissance, en manipulant un fanatique aveugle et meurtrier. Mais, aux dires de certains critiques, le personnage de Mahomet en «amant désespéré» serait invraisemblable. Or dans la pièce, le prophète lui-même reconnaît l’amour comme son véritable dieu. La prédation sexuelle et l’ambition forment chez lui un alliage indéfectible. En ce sens, la pièce de Voltaire semble préfigurer Le Moine de Lewis, un chef-d’œuvre du roman «gothique. Entre l’intrigue, les personnages et les thèmes respectifs, le parallélisme est frappant. Ces rapprochements mettent en évidence un «autre côté» de la tragédie voltairienne, tournée vers l’avenir de la littérature, jusque dans les parages du surréalisme.

Cahiers Voltaire 13, 2014

André Magnan, Penser l’Infâme

Ecraser l’Infâme: perçue comme éminemment voltairienne, l’expression a pénétré l’espace et le débat publics jusqu’à devenir slogan. Pour quelles destinations? Avant Voltaire, le terme n’existait pas, et s’il lui a survécu dans d’innombrables gloses, son auteur originel ne l’a jamais vraiment explicité. André Magnan retrace les multiples applications et retournements de l’Infâme, employé à l’origine au féminin par son auteur, pour désigner une passion religieuse dévastatrice des esprits et des corps. Il en suit les permanences et les résurgences jusqu’à l’actualité récente. Evitons de nous ériger en «écraseurs d’infâme» en nous dispensant de toute analyse ou réflexion véritables. Efforçons-nous plutôt de comprendre le sens authentique d’Ecrelinf, en réintégrant sa thématique dans la mémoire des Lumières.

André Courbet, Voltaire en Lorraine: les séjours de 1720 et 1735

On connaît les séjours successifs de Voltaire à la Cour de Lorraine du roi Stanislas, en 1748-1749, en compagnie de Mme Du Châtelet. Mais l’auteur date de l’automne 1720 un séjour à Nancy traditionnellement situé à tort neuf ans plus tard, sur la foi d’une lettre au président Hénault, datée par Théodore Besterman vers septembre 1729. Or, l’opération financière qui a motivé le séjour lorrain de Voltaire a été lancée par Léopold 1er au moyen d’un édit ducal le 23 août 1720. De même, André Courbet éclaire le séjour de mai-juin 1735, mieux connu, grâce à des données nouvelles, en partie inédites, et tout particulièrement une lettre de Mme de Graffigny.

Isabelle Ligier-Degauque, Zaïre ou les blessures de la mémoire

Il importe de considérer Zaïre autrement que comme un «succès de larmes». Comment en réalité Voltaire donne-t-il à sa tragédie un enjeu politique et religieux au-delà du drame familial? L’auteur de l’article relit la pièce sous l’éclairage de l’ouvrage de Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli. Le jeu des rapports entre les personnages s’inscrit dans une histoire collective marquée à la fois par l’impossible oubli, la revendication d’une réparation et le combat des mémoires. Zaïre n’est pas d’abord une histoire d’amour impossible au temps des croisades. Voltaire intègre à son héroïne le souvenir des violences perpétrées par les chrétiens et les musulmans. Elle en symbolise à la fois la trace et l’invitation à l’apaisement «par la déprise à l’égard de ce qui a pu blesser».

Kees van Strien, Voltaire auteur d’un second compte-rendu des Œuvres de Maupertuis?

Avec Akakia, on connait le point d’orgue des écrits de Voltaire concernant la controverse qui l’oppose à Maupertuis. Mais trois écrits antérieurs ont été recueillis avec bien des aléas, dont l’auteur de l’article retrace les données et les vicissitudes. Il propose la restitution d’un quatrième écrit, jusqu’à présent non répertorié comme tel, et dont il nous donne le texte intégral. Il s’agit d’Observations sur le recueil des Œuvres de M. de Maupertuis, ces œuvres ayant été publiées à Dresde en 1752 par Walther. Le texte des Observations est paru quant à lui dans le Journal des savants de février 1753. Kees van Strien montre les liens qui rattachent ce compte-rendu à un premier examen critique, nettement attribué à Voltaire, et paru l’année précédente.

Lucien Choudin, Les «laissés pour compte» de Ferney (1779-1780)

La mort de Voltaire à Paris laissa la seigneurie et le village de Ferney sans protection et sans animateur. Tandis que Mme Denis se débarrasse de ses propres possessions, la déroute frappe le village, et tout particulièrement les horlogers. Départs et même abandons de maisons se produisent. Tandis que la seigneurie échoit au marquis de Villette, certains profitent au contraire des événements pour asseoir leur situation. Lucien Choudin publie cinq lettres autographes adressées à Mme Denis durant cette période qui suit la mort de Voltaire, et dont le contenu fait alterner les remerciements, la reconnaissance et les requêtes. «Nous possédons les successeurs que vous nous avez donnez, mais ils ne nous possèdent pas...», écrit par exemple l’horloger Georges Auzière, le 6 août 1779.

Alain Sager, Retour sur le probabilisme voltairien

A la suite de Stéphane Pujol et Sébastien Charles (Cahiers Voltaire 11, 2012), l’auteur s’attache à mettre en évidence la nature du probabilisme voltairien. Il en fait remonter l’origine à Cicéron, lui-même élève de Philon de Larisse, philosophe dissident de la Nouvelle Académie. Si la vérité en tant que telle reste inaccessible, des propositions plus probables que d’autres peuvent être soutenues, lesquelles orientent à leur tour des préceptes pour agir. Alain Sager veut montrer comment ce probabilisme cicéronien commande la vision voltairienne de l’histoire, irrigue sa métaphysique, et se situe au fondement de sa conception de la tolérance. Enfin, il montre l’application du probabilisme que Voltaire a tenté de pratiquer en matière pénale dans son Essai sur les probabilités en fait de justice.

Bertram Eugene Schwarzbach, Quand Voltaire étalait des connaissances rabbiniques et traduisait Maïmonide

Au moment où des accusations d’antisémitisme resurgissent contre Voltaire, l’article montre qu’en réalité ni le vocable d’antisémite ni celui de philosémite ne lui conviennent. Poursuivant des recherches antérieures (Cahiers Voltaire 8, 2009), l’auteur s’attache à la recherche des sources de la neuvième Lettre à son Altesse monseigneur le prince de*** sur Rabelais, et sur d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la religion chrétienne. Voltaire y évoque l’«usure» que les Juifs pratiqueraient spécifiquement. L’article situe la source hébraïque du Patriarche dans la Préface de Johann Christoph Wagenseil des Tela ignea satanae . Il identifie le rabbin «Beccai» invoqué par Voltaire comme étant l’exégète Bahya ben Asher, auteur d’un Commentaire sur le Pentateuque. En conclusion, l’opinion de Voltaire sur l’activité économique des Juifs ne fut jamais aussi négative que celle de leurs pires adversaires.

Andrew Brown, Les antikehliens

L’édition de Kehl a regroupé sous le titre Dictionnaire philosophique, en une seule séquence alphabétique, un ensemble de textes d’origines très diverses. Ce procédé a été qualifié de «monstrueux» par d’actuels éditeurs oxfordiens des Œuvres complètes de Voltaire. Mais qu’en pensait l’auteur lui-même? En 2005, Andrew Brown et André Magnan ont publié dans les Cahiers Voltaire à Ferney le Plan d’une édition des Œuvres de M. de V. datant de 1777, qui comporte justement le regroupement et l’intégration de toutes les œuvres alphabétiques. Or, le 2 novembre 1777, Voltaire annonce à Panckoucke, initiateur de la future «Kehl»: «vous aurez avant trois mois, huit ou dix volumes conformes à votre plan». Il est donc loin d’être assuré que les «kehliens» soient les promoteurs d’un «monstre». Pourtant en 2014, Nicolas Cronk critique la reprise par des éditeurs italiens de la version Moland du Dictionnaire philosophique, dérivée de Kehl. Ferney-Oxford: a Channel of no return?

Cahiers Voltaire 12, 2013

Colloque Voltaire et Rousseau: un partenariat posthume (Ferney-Voltaire, 11-12 juin 2012)

Les douze premiers articles du numéro représentent les contributions présentées au colloque qui s’est déroulé en juin 2012 sur le «partenariat posthume» de Voltaire et de Rousseau. Il s’est tenu à l’initiative de la Société Voltaire, de l’association Voltaire à Ferney, et du Centre international d’études du XVIIIe siècle, avec le soutien de la ville de Ferney-Voltaire et du Centre des monuments nationaux.

1) François Bessire, «Ces deux hommes qui ont perdu la France». Voltaire et Rousseau, «auteurs» de la Révolution

Avec une importante contribution iconographique, l’auteur se propose d’esquisser une histoire de la constitution du couple Voltaire-Rousseau, à qui sont attribuées l’origine ou la responsabilité de la Révolution, à commencer par Louis XVI lui-même. Avant de diverger, la réunion des deux figures a d’abord représenté pour la Révolution une nécessité originelle de mémoire. La panthéonisation, les discours convergents des philosophes et même de leurs adversaires, ainsi que la première historiographie révolutionnaire se sont conjugués pour favoriser cette vision des deux penseurs, unis dans un même effet subversif.

2) Linda Gil, Voltaire et Rousseau face à la postérité dans les gravures de Moreau le Jeune

Linda Gil s’applique à l’étude des gravures de Moreau le Jeune consacrées aux deux auteurs, de 1778 à 1792. Le dessinateur fait à la foi œuvre d’art et de pensée. Voltaire et Rousseau font chez lui l’objet d’un culte, d’un hommage et d’une réflexion en mouvement. En même temps, il se considère comme un passeur, en se destinant à transmettre la mémoire, et surtout le patrimoine littéraire des deux écrivains. La subtile collusion de l’image et de l’écrit contribue chez Moreau le Jeune à allier culture populaire et culture savante. Il joue sur la réception de Voltaire et de Rousseau, mettant en valeur leur œuvre politique, revendiquée par les révolutionnaires. Il influe notablement sur les futures querelles manichéennes du XIXe siècle, autour de la responsabilité des deux écrivains dans le phénomène révolutionnaire.

3) Guilhem Scherf, La Folie des combats entre deux philosophes: à propos d’une estampe représentant Voltaire et Rousseau

«Il court une caricature, où l’on représente MM. de Voltaire et Rousseau, l’épée au côté, en présence l’un de l’autre, faisant le coup de poing». Ainsi les Mémoires secrets annoncent le 5 octobre 1762 la diffusion d’une estampe mettant les deux philosophes aux prises. Anonyme, l’œuvre est la première à figurer leur affrontement. Guilhem Scherf se penche alors sur La Folie des combats, l’une des illustrations ornant l’édition de L’Éloge de la folie d’Erasme, parue en 1751. Le rapprochement entre les deux documents manifeste une parenté saisissante, qui nous met sur la voie des intentions de l’auteur anonyme de l’estampe de 1762. A-t-il voulu illustrer le non-sens d’une lutte fratricide entre les deux éminents penseurs des Lumières? La réponse viendra peut-être un jour avec la révélation de l’identité du «caricaturiste».

4) Alain Sager, Voltaire avec Rousseau: dissimulations et faux-semblants dans L’Orphelin de la Chine

Traditionnellement, on considère L’Orphelin de la Chine, tragédie voltairienne de 1755, comme une réponse à la critique rousseauiste des lettres, des sciences et des arts. En s’attachant à l’étude du personnage de Gengis Khan, l’auteur se demande si celui-ci n’incarne pas une forme de machiavélisme politique, propre à illustrer en réalité les mises en garde de Rousseau. L’adhésion affichée du conquérant à la civilisation chinoise n’est-elle pas le masque derrière lequel un fin politique asservit le peuple qu’il cherche à flatter? Loin de célébrer le triomphe de la vertu chez un tyran «poli par l’amour», L’Orphelin de la Chine mettrait en évidence l’expression d’une volonté de puissance, dissimulée sous un vernis faussement moral et civilisé.

5) Martin Stern, Rousseau, Voltaire et la question de la Révélation: de l’art de se faire «brûler» à propos

Voltaire et Rousseau ont tous deux critiqué le dogme de la Révélation qui ne résiste pas à l’examen de la raison et relève de la croyance ou de la superstition. Pourtant, cette question a entraîné d’importants désaccords entre les deux philosophes. Simple malentendu ou opposition plus profonde? Déjà, le problème de la Providence avait révélé un conflit latent. Mais la lecture voltairienne de la Profession de foi du vicaire savoyard élargit le fossé. Voltaire et Rousseau n’établissent pas les mêmes rapports entre christianisme et religion naturelle. Par ailleurs, ils divergent sur la question de la tolérance, tout en partageant le même principe. Enfin, leur stratégie de publication diffère. Alors que Voltaire choisit l’anonymat pour rejeter les dogmes chrétiens, Rousseau préfère défendre, à visage découvert et à ses risques et périls, un christianisme originel. Ses livres condamnés témoigneraient alors en faveur de tous «ceux qui auront l’honneur d’être brûlés après eux».

6) Michel Termolle, L’Emile et L’Ingénu, une parole si proche en éducation

L’auteur rapproche des extraits tirés de l’Emile et de L’Ingénu. Il y constate en matière d’éducation quelques principes communs aux deux pédagogues, comme «profiter d’une éducation sauvage», «ne rien apprendre durant l’enfance», «prendre la leçon de la nature», «prémunir des préjugés», ou encore «éviter l’erreur par l’ignorance». Michel Termolle reprend en détail la comparaison des textes pour spécifier et illustrer ces convergences. On connaît les anathèmes lancés par Voltaire contre l’ouvrage pédagogique de Rousseau. Mais, au-delà de la «mésentente cordiale» entre les deux hommes et de leurs divergences affichées, une «parole proche en éducation» se fait jour chez eux. On peut souscrire aux propos de Bernardin de Saint Pierre: tous deux se sont proposé «le même but, le bonheur du genre humain».

7) Marie Fontaine, Voltaire et Rousseau partenaires posthumes aux Champs Elysées, avant et après leur installation au Panthéon: étude de trois dialogues des morts

Le genre littéraire du «dialogue des morts» remonte à l’Antiquité et trouve aussi son expression à l’âge classique. Entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, trois dialogues de ce type mettent en scène Voltaire et Rousseau. L’auteur les compare pour mettre en évidence le «partenariat par la mort» qui s’y révèle. C’est l’occasion de découvrir des portraits peu convenus, voire surprenants, des deux philosophes. Voltaire aurait davantage lutté contre les systèmes religieux que combattu sincèrement pour le déisme. On découvre en lui un champion de l’amour, alors que l’auteur de La Nouvelle Héloïse aurait assuré le primat de la raison sur le cœur… Cependant, la confrontation dialoguée représente une forme idéale pour l’expression de leurs oppositions. Jusqu’à l’ultime étincelle qui jaillira plus tard du choc entre les crânes exhumés de Voltaire et de Rousseau, dans le William Shakespeare de Victor Hugo.

8) Raymond Trousson, Lamartine entre Rousseau et Voltaire: un double désenchantement

L’adolescence et la jeunesse de Lamartine sont fortement influencées par Rousseau. Ses œuvres poétiques se ressentent notablement de la fréquentation passionnée des Confessions et de La Nouvelle Héloïse. Mais l’enthousiasme de la jeunesse disparaît chez Lamartine au gré de la critique du Rousseau politique. Il veut voir dans l’auteur du Contrat social – ouvrage qu’il a lu seulement à la fin de sa vie – un terrible personnage révolutionnaire et socialiste, qui le sépare à jamais de l’écrivain de sentiment. Le même mouvement vaut pour Voltaire. Aux premières admirations a succédé un détachement à l’égard de l’homme et de l’écrivain. Lamartine s’est fait sévère pour le penseur et impitoyable pour l’artiste. Raymond Trousson refait le parcours et sonde les raisons qui ont pu conduire à forger chez Lamartine cette «histoire d’un double désenchantement».

9) Nadezda Dorokhova, Voltaire, Rousseau et les réformes en Russie au tournant des XVIIIe-XIXe siècles

L’impact des Lumières françaises sur la pensée politique et sociale en Russie est indéniable, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, notamment grâce à Voltaire, à Rousseau, ou encore à La Harpe, précepteur du futur empereur Alexandre 1er. Celui-ci entreprend des réformes au début de son règne, qui sont influencées par l’hostilité voltairienne au despotisme, et par les théories républicaines et démocratiques de Rousseau. Mais bientôt, l’application des projets de réformes entraîne des résultats contradictoires. Les valeurs libérales des «jeunes amis» de l’empereur, partisans d’un modèle britannique, se heurtent aux principes autocratiques et bureaucratiques de l’Empire russe. Alexandre 1er lui-même est peu sensible à l’idée d’une monarchie constitutionnelle. Par un renversement inopiné de l’histoire, les tentatives de réformes libérales se métamorphosent en avatars policiers, «à la fois en avance sur les temps et désespérément archaïques».

10) Ileana Mihaila, Les frères ennemis, ou Voltaire et Rousseau dans la culture roumaine

Voltaire et Rousseau sont connus des Roumains depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle. Adorés ou abhorrés, ils apparaissent souvent ensemble dans l’esprit des gens, comme les deux faces d’une même médaille. L'auteur compare cette fortune littéraire des deux philosophes à des moments-clés, telles la célébration de leurs morts respectives, notamment en 1878 et 1928, et celle de leurs naissances en 1894 et 1912. Etonnant Tudor Arghezi, qui dans sa seconde Lettre ouverte à Jean-Jacques Rousseau, raconte sa propre visite à Ferney. Le voici «dans le parc de ce riche camarade qui a barbouillé avec son sourire indélébile tout un siècle et un monde entier», que la «tristesse» de Rousseau a considéré de son côté «comme un problème de tempêtes»… La relation profonde des deux frères ennemis des Lumières mérite bien l’écho qui nous parvient de l’espace roumain, «cette île de francophonie culturelle passionnée».

11) Piotr Zaborov, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau: les échos en Russie de leurs doubles jubilés, 1878, 1928, 1978

Dans la réception de Voltaire et Rousseau en Russie, la cohabitation a souvent relevé de la concurrence, voire même de la lutte acharnée. Mais une réconciliation posthume est orchestrée à l’occasion des célébrations de mai-juillet 1878, 1928 et 1978, pour l’anniversaire de leurs morts respectives. En réalité, l’événement est à chaque fois traité en fonction des nécessités proprement russes du moment historique. En 1878, l’insatisfaction face aux réformes d’Alexandre II entraîne un renforcement du mouvement d’émancipation dont Voltaire est présenté comme le porte-drapeau. En 1928, à l’ère soviétique, on cherche à repérer chez Voltaire et Rousseau des «annonciateurs» de la révolution socialiste. En 1978, les célébrations portent la marque d’une oscillation entre la tolérance intellectuelle du pouvoir et une hostilité à l’égard de la culture occidentale contemporaine, toujours qualifiée de «bourgeoise».

12) Pascale Pellerin, Voltaire et Rousseau, deux figures résistantes sous l’Occupation

Dans la France de l’Occupation nazie, ce sont les figures de Voltaire et de Rousseau qui suscitent le plus de controverses en rapport avec le Siècle des Lumières. Vilipendées ou maladroitement récupérées par les collaborateurs à la solde de l’ennemi, les deux philosophes sont au contraire invoqués comme des figures tutélaires par les résistants. Rousseau est brandi par les chrétiens comme l’adversaire du paganisme nazi, tandis que les communistes se réfèrent plus volontiers à Voltaire. Quoi qu’il en soit, la libération du territoire national sert de commun dénominateur. L’auteur évoque ainsi un certain nombre de personnalités, chrétiennes, communistes ou trotskistes.

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Ulla Kölving, Voltaire, Portalis, et le mariage des protestants

Peut-on préciser les liens qui ont pu exister entre Voltaire et Jean-Etienne-Marie Portalis, futur co-rédacteur du Code civil napoléonien? Sur la base du catalogue d’une vente marseillaise du fonds d’archives de la famille, Ulla Kölving étudie le manuscrit de Portalis, soumis à Voltaire en octobre 1770, et qui concerne la Consultation sur la validité des mariages des protestants de France. L’auteur retrace l’histoire de cette contribution voltairienne, avant de proposer dans un tableau comparatif des extraits du texte initial de Portalis, correspondant aux annotations de Voltaire, et enfin les réécritures ou suppressions qui s’en sont ensuivies, dans l’édition finale de la Consultation en 1771.

François Jacob et Lucas Lador, Histoire grecque

Suard ou Voltaire? Qui est l’auteur du Dialogue entre Périclès, un Grec moderne et un Russe, paru successivement en juillet 1763 et décembre 1764? Voltaire lui-même a rejeté la paternité de ce texte. Quoi qu’il en soit, son attribution demeure problématique. L’article expose les vicissitudes de cette publication, avant de reconnaître l’impossibilité de trancher définitivement entre les deux auteurs présumés, et peut-être plus ou moins associés. Le Dialogue, une œuvre de sang mêlé? La question peut être replacée dans le cadre de ces œuvres à la «paternité plurielle», fruit de la circulation et de l’échange, et qui portent «la marque – et quelquefois le masque – des Lumières».

Samuel Mourin, Une lettre de Voltaire dans les papiers de l’artiste haut-marnais François-Alexandre Pernot

«Ma mauvaise santé, Monsieur, m’a empêché de répondre aussitôt que je l’aurais voulu, aux marques de souvenir que vous avez bien voulu me donner». Ainsi commence la lettre de Voltaire «auprès de Colmar, ce 16 8bre 1753», à «Monsieur Zoepffel, secrétaire de l’ambassade de France à Berlin». L’auteur a retrouvé cette missive dans les papiers de l’artiste-peintre haut-marnais F.-A. Pernot (1793-1865) conservés par ses descendants. L’article retrace la biographie de ce collectionneur d’autographes, qui effectua plusieurs séjours à Cirey, à partir de 1811, et bénéficia de la protection de la châtelaine d’alors, Mme de Simiane.

Cahiers Voltaire 11, 2012

Andrew Brown, «Minerve dictait, et j’écrivais»: les archives Du Châtelet retrouvées

La découverte en 2010 d’importants manuscrits d’Emilie Du Châtelet n’a pas fini de livrer ses richesses, même si de nombreux inédits demeurent encore introuvables. L’article retrace l’histoire des moments critiques qui jalonnent la réapparition des manuscrits retrouvés. Parmi eux, figure notamment celui des Eléments de la philosophie de Newton, présenté par Voltaire à Emilie Du Châtelet, et comportant annotations des deux protagonistes. A. Brown propose en particulier un tableau comparatif entre le manuscrit inédit des Eléments et deux versions publiées, celle de 1738 et celle contenue dans les Œuvres complètes de Voltaire dont le chantier se poursuit actuellement. Enfin un fac simile d’une page du manuscrit révèle en marge une note autographe de Voltaire.

Andrew Brown et Pierre Leufflen, Voltaire et Emilie Du Châtelet dans la rue Traversière (II)

Faut-il croire l’académicien Sanson de Pongerville et le docteur Moura, qui prétendent avoir habité la maison partagée par Voltaire et les Du Châtelet, au 25 de la rue Traversière (voir Cahiers Voltaire 10, 2011)? Les auteurs montrent qu’il s’agit en réalité d’une erreur bien enracinée. Ils s’appuient sur un dossier regroupant les actes notariés relatifs à la maison, et sur des documents concernant les biens des Sœurs hospitalières de La Roquette. Ce sont elles qui étaient les propriétaires de la maison concernée, et non le sieur Majainville, censée l’avoir louée aux Du Châtelet. En suivant la piste Majainville, les auteurs ont retrouvé l’emplacement de la véritable maison dont, de surcroît, ils proposent les plans, avec le concours d’Alain Leufflen.

Karine Bénac-Giroux, Les vacillements du sujet dans les réécritures d’Œdipe

Le personnage créé par Sophocle fait l’objet de trois créations majeures à l’époque classique, celles de Corneille en 1659, de Voltaire en 1718 et de La Motte en 1726. Dans tous les cas, la scène de la «reconnaissance» joue un rôle capital, puisque le héros y apprend qu’il est le fils de Jocaste. Le sentiment de culpabilité, lié à la quête des origines, y remet en cause l’identité du «je». L’auteur examine les différentes réécritures de cette scène dans les trois tragédies successives. L’Œdipe de Corneille incarne un «je» cartésien, tandis que celui de Voltaire se rapproche de la définition que Locke donne de l’identité. Mais le traitement le plus original semble celui de La Motte, qui fait du héros un «moi» empirique et «éclaté», proche des conceptions du sujet chez Rousseau ou Hume.

David Smith, Du nouveau sur Voltaire

«Le dois-je croire, ô divine Emilie? / vous estes donc sensible à mes malheurs? / Quand vostre main daigne seicher nos pleurs, / Est-il des maux qu’à l’instant on n’oublie?» (éloge de Mme Du Châtelet, sans titre ni nom d’auteur). Ces vers figurent parmi les sept morceaux inédits en rapport avec Voltaire, dont l’auteur nous propose la découverte et la lecture. Ils sont extraits d’un recueil de manuscrits du XVIIIe siècle, comportant 325 pages, acquis par le musée du château de Lunéville. Cinq cahiers composent ce recueil, dont une bonne moitié est constituée par des lettres et des vers de Voltaire, dont la quasi-totalité est déjà reproduite dans des éditions existantes. Mais les morceaux ici publiés autour de la figure du Patriarche n'existent pas ailleurs. «Voltaire enfin est mort trop tost pour les sciences / Trop tard pour la religion» (vers de Don Colin, bénédictin, sur la prétendue mort de Voltaire, mars 1751).

Stéphanie Géhanne-Gavoty, Radiographie d’une protestation: Voltaire dans son cabinet de travail d’après la lettre «Sur les prétendues Lettres de Clément XIV»

Les Lettres intéressantes du pape Clément XIV représentent un faux attribué à Ganganelli, un religieux italien devenu brièvement pape, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. En 1776, Voltaire publie sans le signer un Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade, dans lequel ce faux de Clément XIV fait l’objet de la lettre 27. L’auteur s’appuie sur une minute manuscrite de celle-ci, en partie autographe et encore partiellement inédite, dont elle donne le texte, et qui est en possession de l’Institut et Musée Voltaire. Sur la base d’un établissement rigoureux de cette lettre et de l’étude de ses différents états, l’auteur s’emploie à éclairer les pratiques d’écriture du Patriarche. A partir d’un écrit en devenir, on peut espérer vivifier l’image d’un «Voltaire dans son cabinet et à sa table de travail».

Kees van Strien, Gerard Roos (1730-1812), traducteur et champion de Voltaire

En avril 1768, un libraire de Rotterdam annonce l’édition de Mélanges de philosophie, histoire et littérature par M. de Voltaire. Le traducteur de ces textes est Gerard Roos, enfant des Lumières, et combattant comme Voltaire pour la tolérance, la liberté d’expression et un monde meilleur. L’auteur de l’article insiste sur ses démêlés avec Pieter Hofstede, pasteur de Rotterdam. Celui-ci pourfend les Anciens, tel Socrate, dont Roos se fait au contraire le défenseur. De même, il se fait le héraut de l’œuvre et de la personne de Voltaire. Sans être «en adoration devant lui», reconnaît-il, «je rendrai toujours hommage à ses écrits parce qu’ils m’ont appris à penser». Traducteur fidèle, Roos concevait son combat pour la vérité sous couvert de discrétion quant à sa propre personne: la parole seule doit convaincre.

Un dossier de Stéphane Pujol et Sébastien Charles: Voltaire et le scepticisme

Dans un dossier, les auteurs regroupent un avant-propos et deux études sur la dimension du scepticisme chez Voltaire.

Dans son Avant-propos, Stéphane Pujol montre l’importance de la démarche sceptique voltairienne, conçue comme une méthode d’examen critique, dont l’année 1770 représente un moment-charnière, et le probabilisme un point d’aboutissement.

Dans Voltaire et la question du scepticisme, il insiste alors sur le rejet par notre auteur de tout discours d’autorité, qu’il soit religieux ou philosophique. Si Voltaire est sceptique, c’est par le biais d’un crible critique auquel il soumet aussi bien l’esprit de système que la prétention dogmatique. Car un doute salutaire est bénéfique autant pour l’autonomie de la raison qu’au regard des exigences de la tolérance.

Dans Entre pyrrhonisme, académisme et dogmatisme: le «scepticisme» de Voltaire, Sébastien Charles applique d’abord la question au théisme voltairien: en cette matière, Voltaire substitue la vraisemblance à l’inanité d’une certitude absolue. En métaphysique, la vraisemblance laisse la place à une forme d’épochè, de suspension du jugement, ou de mise entre parenthèses de ce qui demeure incompréhensible ou inaccessible à la raison. La morale offre le retour à une forme nouvelle de certitude, suivant laquelle il existe une morale universelle de l’humanité, qui transcende le temps et l’espace.

Edouard Langille, Candide, «pulp fiction»

De 1949 à 1957, quatre cents titres d’ouvrages paraissent aux USA dans la collection dite «Lions Books» ou encore «Lions Library». Destinée plutôt à une jeune clientèle masculine, la collection permet de contourner les tabous et les interdits en vigueur au sein d’une société puritaine et conformiste. En 1952, Walter J. Fultz y propose une traduction du Candide de Voltaire. A des fins commerciales, il met en valeur les obscénités du conte, et l’agrémente d’illustrations «suggestives». Le retirage de 1956 annonce à la fois «un des contes les plus scandaleux jamais écrits par la main de l’homme» et «un grand classique». Car ce Candide «made in USA» constitue un jalon original dans l’édition de ce texte qui réunit depuis toujours, dans une même adhésion à sa liberté de ton et d’inspiration, l’Amérique profonde et la gent intellectuelle.

Cahiers Voltaire 10, 2011

Andrew Brown et Pierre Leufflen, Voltaire et Emilie Du Châtelet dans la rue Traversière (I)

Un témoignage de Bertrand Moura, locataire du n° 25 de la rue de la Fontaine Molière, de 1862 à 1876, semble permettre d’identifier cette maison à celle qui fut occupée par Voltaire et Mme Du Châtelet, dans ce qui s’appelait alors la rue Traversière. La maison fut démolie en 1876 pour laisser passage à l’avenue de l’Opéra. Dans La Butte des Moulins, ouvrage de 1877, le docteur Moura s’autorise du témoignage de l’académicien Sanson de Pongerville. Celui-ci, ayant acquis la maison en 1832, se faisait une joie d’y montrer «le petit cabinet de travail du grand poète-philosophe». Mais peut-on réellement faire confiance au docteur Moura et à son prédécesseur? Le feuilleton se poursuit dans les Cahiers Voltaire de 2012.

Andrew Brown et Emmanuel Fradois, Les éditions Prault des œuvres de Voltaire

Les auteurs examinent les vicissitudes des relations entre Voltaire et l’éditeur Laurent-François Prault, qui concernent ici l’édition que celui-ci donne en 1742 d’Œuvres de M. Voltaire. Nouvelle édition, corrigée et augmentée par l’auteur. Considérant que «de tous les fripons de libraires Prault est le plus fripon», Voltaire s’emploie à faire disparaître cette édition. Il semble qu’il n’ait que trop bien réussi! On ne connaissait que quelques exemplaires du tome VI, jusqu’à ce que refassent surface dans les années 2000 les tomes I et V. Les auteurs donnent une description des tomes retrouvés de l’édition de 1742, avant d’établir une comparaison avec celle de 1746, notamment pour le tome V.

David Smith et alii, «Présent de l’auteur, corrigé de sa main»: les annotations de Voltaire dans une édition de ses Œuvres (Dresde, Walther, 1748)

En octobre 1748, George Conrad Walther publie ses Œuvres complètes de Mr de Voltaire en huit volumes. Durant les trois années suivantes, l’auteur corrige, révise, opère des ajouts, fait imprimer des textes nouveaux. Voltaire veut à la fois préparer des éditions ultérieures et constituer des exemplaires d’hommages à différents membres de familles haut placées. Il compose enfin deux listes d’annotations destinées à ses libraires. L’article examine l’ensemble de ces textes et documents, en suivant la généalogie des annotations ou des textes qui ont trouvé place dans les exemplaires des éditions concernées (Machuel, 1750; Lambert, 1751 et Walther II, Dresde, 1752).

Bertram Eugene Schwarzbach, La datation de certains articles des Questions sur l’Encyclopédie

On sait que Voltaire a réutilisé dans les Questions sur l’Encyclopédie des textes qu’il avait antérieurement publiés. Deux thèses s’affrontent à cet égard. S’agit-il en l’occurrence d’une application voltairienne du principe des «mélanges», ou bien faut-il y voir le souci de l’auteur d’assurer une publicité plus grande à des textes antérieurs? L’article prend pour exemple des articles au titre homonyme parus dans le Dictionnaire philosophique, puis dans les Questions. Pour B. E. Schwarzbach, «dans plusieurs cas, les rédactions publiées dans les Q.E. sont plus primitives que celles, presque identiques, que Voltaire avait déjà publiées dans les éditions du D.P.». Il compare à cet effet les articles «Caractère», «Tout est bien» et «Prophètes», tout en proposant une liste plus longue, et en répondant aux objections qui peuvent être faites à une thèse qu’il reconnaît ne pas avoir toujours soutenue.

Pierre Leufflen, Une nouvelle interprétation de la célébration du centenaire de la mort de Voltaire en 1878: l’apport essentiel des Archives de la Préfecture de police

On connaît l’importance de la célébration du centenaire de la mort de Voltaire, non seulement pour la mémoire du grand écrivain, mais aussi pour les luttes politiques auxquelles l’événement s’articule. On sait que le comité Ménier, représentant une république sociale, intransigeante et anticléricale, s’est notablement distingué d’un Victor Hugo plus embourgeoisé et christianisant à sa manière. Quasiment inexploités, les rapports de police des services du commissaire Lombard, archivés à la Préfecture de Paris, permettent d’apporter de précieux éclairages sur la préparation de l’événement. Pierre Leufflen s’emploie donc à en réécrire l’histoire à cette lumière, en proposant à la fin de l’article une très importante iconographie.

Abderhaman Messaoudi, Voltaire et Kant: vers d’autres Lumières

De nombreuses études ont examiné les rapports entretenus entre les deux philosophes des Lumières. De récentes contributions renouvelant l’examen de la philosophie kantienne nous conduisent, selon l’auteur, à réévaluer celle de Voltaire. Etudiant les préoccupations communes et les rapprochements possibles entre les deux philosophes, l’article montre que leur association fait écho aux «problématiques de notre temps dont le champ se trouve confirmé» par une «nouvelle sensibilité aux catastrophes», le rôle dévolu à l’intellectuel, et le retour de la métaphysique et du religieux.

Cahiers Voltaire 9, 2010

André Magnan, Retours de Candide(s)

Par un «montage personnel», l’auteur évoque les multiples résurgences du conte, sujet à tant de suites et de pastiches, d’adaptations et de variantes. Finalement, le «long travail d’incarnation littéraire» de Candide aboutit à son «transfert hors littérature», notamment dans le journalisme et l’espace public. «Voltaire, reviens!» C’est l’auteur lui-même qui, l’année de la parution du conte, lance cet appel à sa façon, en apprenant la nouvelle des civils de Dresde sacrifiés sur l’autel de la guerre de Sept Ans. Du «babioliste» Georges-Louis de Baar au Candide israélien de Doron Rosenblum, du Journal de Jules Renard à celui d’Hugo Ball en 1916, en passant par le projet de film de René Clément et Raymond Queneau, ou l’évocation du 21 avril 2002, l’auteur évoque à petites touches le parcours d’une «humanité qui résiste». Celle-ci témoigne ainsi du «fil ténu» qui la relie au conte de Voltaire. Car il faut que Candide revienne pour rompre «le silence de la bonne ou mauvaise conscience».

François Bessire, Candide au théâtre: une brève histoire

La fortune de Candide au théâtre fait l’objet de cet article qui fournit à la fois les grandes lignes de ses adaptations successives, l’analyse d’exemples significatifs et des tableaux chronologiques récapitulatifs. Si le XVIIIe siècle se contente de fantaisies parodiques, le XIXe inaugure une rupture. Avec le Candide de Désiré Pilette on retrouve la dimension du voyage initiatique. Désormais, on mesurera le rapport entre la pièce proposée et le sens de l’œuvre désormais «classique» dont elle est tirée. Le XXe siècle, avec plus de quarante pièces entre 1923 et 2009, ouvre vraiment au conte sa voie royale au théâtre. Les adaptations se situent nécessairement au sein d’une dialectique de l’actualisation, de la modernisation et de la fidélité à l’œuvre-mère, dans un alliage de tragique et de dérision. On y répète la leçon fondamentale des Lumières: un individu autonome suppose qu’il soit affranchi des discours convenus et qu’il se consacre au travail.

Magdalena Campora, Candide à Buenos-Aires

Le Nouveau Monde constitue pour le personnage de Candide un risque de dissolution imminente ou d’appropriation déréglée: qu’on se souvienne seulement de la grande chaudière réservée au héros par les Oreillons. Ces mêmes risques ont plané sur la réception du conte en Argentine, depuis la parution des trois volumes des Novelas de Voltaire en 1819, jusqu’à l’édition de Candide en 2005. L’auteur retrace les métamorphoses du héros, depuis le Candide «patriote argentin» du XIXe siècle, le Candide anarchiste des années 1920, jusqu’à la promotion du conte en best-seller pendant la seconde guerre mondiale. Un sort particulier est réservé à la lecture du récit par J. L. Borgès, tandis que l’ultime «détournement» du conte en Argentine trouve dans le personnage de Cacambo une application inattendue.

Arzu Etensel Ildem, Traductions et réception de Candide dans l’empire ottoman et en Turquie

Aujourd’hui, Candide est très vivant en Turquie. L’auteur nous convie à la découverte du conte et à sa réception à travers ses traductions. Sous l’empire ottoman, ce sont essentiellement les «dialogues» et «entretiens» de Voltaire qui retiennent l’attention, et Micromégas pour les contes. L’intérêt pour Candide se manifeste après l’avènement de la République en 1923. Avec les traductions de Fehmi Baldas en 1938, de Nahid Sitki Orik en 1948, puis celle de Server Tanilli en 1984, le conte trouve toute sa place dans la vie intellectuelle turque. La traduction de Server Tanilli bénéficiera, lors de sa réédition en 1994, des illustrations de Turhan Selçuk, le Plantu turc, dont on trouvera ici dix planches reproduites. Celles-ci contribueront grandement à l’audience renforcée de Candide, lequel devient une œuvre de référence dans les domaines littéraire, artistique et politique, dont des articles de presse témoignent grandement.

Tomoko Takase, Voltaire au Japon ou Candide en Extrême-Orient au XXIe siècle

L’histoire de la réception de Candide au Japon est traversée d’un fil rouge: à l’époque où chaque traduction paraît, elle constitue le miroir des problèmes japonais contemporains. La première traduction fut réalisée en 1937, à un moment où la liberté de parole était menacée dans l’archipel. La seconde, réalisée en 1956, coïncide avec la vogue de l’existentialisme. Mais il faudra attendre quarante ans pour qu’une nouvelle traduction voie le jour. C’est celle de Yuji Ueda en 2005, que son auteur considère comme vraiment fidèle et qui est présentée dans une édition critique. Il faut aussi signaler une conférence d’Akira Mizubayashi et l’opéra de Bernstein mis en scène par Amon Miyamato. Dans les trois cas, une même préoccupation se dégage: à l’image de Candide qui lutte pour son indépendance, dans un climat de guerre et de désastres naturels, les Japonais cherchent, sous l’effet de la mondialisation, les voies de leur propre chemin pour faire face au monde.

Kees van Strien, Voltaire contrebandier

«Le célébre auteur de l'Épître à Uranie s’est montré à Bruxelles tel qu’à Paris et à Londres […] Il avait acheté ici pour cinq ou six mille francs de tableaux à un inventaire renommé. Quand il a voulu les faire passer en France, il ne les a déclarés que 260 livres, en sorte qu’ils ont été confisqués à la douane…». Ainsi Jean-Baptiste Rousseau, ennemi juré de Voltaire, résumait dans une lettre de l’époque l’affaire examinée ici. Kees van Strien restitue la chronologie, les circonstances et l’enchaînement des faits concernant cette vente publique de tableaux du 20 juillet 1739 à laquelle Voltaire a participé. La reconstitution bénéficie de neuf documents reproduits à la fin de l’article, tirés des Archives générales du royaume à Bruxelles. Le pivot de l’affaire y apparaît, notamment dans le document 3, sous les traits du «sieur Colins», marchand de tableaux auquel Voltaire a recouru, et qui se faisait passer par ailleurs pour «peintre de Sa majesté très chrétienne».

Paul Pelckmans, Le souper de Balzora. Une relecture

La limpidité d’un texte peut, contre l’apparente évidence, dissimuler des profondeurs obscures. L’auteur propose d’appliquer cette vérité de base au chapitre XII de Zadig, dans lequel le héros convainc ses convives de Balzora que le déisme éclairé constitue le dénominateur commun des différentes religions que chacun représente. Reprenant le fil de la conversation au gré de chaque intervenant, Paul Pelckmans montre qu’elle aboutit à une «version extrêmement minimale du déisme» qui pourrait bien accuser sa «pente la plus secrète». Nos convives sont si proches de l’athéisme qu’il leur suffirait de renoncer au «premier principe» pour qu’ils y versassent sans façon. Certes, Voltaire est sincère quand il proclame ailleurs l’origine divine de la conscience. Mais justifiant peut-être le «hideux sourire» attribué à son auteur, le concordat de Zadig consent à payer un prix très élevé pour l’extinction du fanatisme.

Raymond Trousson, Théophile Imarigeon, abbé Duvernet, biographe de Voltaire et romancier libertin

Qui était Théophile Imarigeon Duvernet? Dans la reconstitution de la biographie de l’abbé, Raymond Trousson attribue à sa Vie de Voltaire l’essentiel de son renom. Il était né vers 1734 à Ambert (où il mourut en 1796). Très tôt, il est en rapport avec Voltaire qui signale à d’Argental celui «qui daigne être mon historien». La première biographie du grand homme, avec toutes ses imperfections, connaîtra un vif succès à sa parution en 1786 (seconde édition posthume, 1797). L’abbé mérite peut-être aussi qu’on évoque ses écrits libertins, pamphlétaires, historiques ou romanesques, dont Raymond Trousson analyse le contenu et la réception. L’un d’entre eux, qui bataille contre les ennemis des philosophes, vaudra à l’abbé trois semaines de détention à la Bastille. Sur tous les plans, ni grand philosophe ni grand écrivain, Duvernet aura néanmoins fait honneur à Voltaire.

Cahiers Voltaire 8, 2009

Michel Porret, Voltaire, justicier des Lumières

On connaît les causes célèbres auxquelles Voltaire a attaché indéfectiblement son nom. Mais l’auteur les replace dans une réflexion plus vaste sur le droit de punir, une immense question à laquelle les Lumières prêtent toute leur attention. Le siècle est marqué notamment par la publication du Traité des délits et des peines de Beccaria, auquel Voltaire a consacré un commentaire. Exemplaire du réformisme de son temps, mais dépassant le propos de Montesquieu, Voltaire radicalise et politise son combat moral. Critiquant l’autorité traditionnelle en matière de droit de punir, il envisage «le modèle punitif idéal» autour du «travail qui corrige en régénérant socialement», dans le respect absolu de l’intégrité physique et morale du justiciable. Les causes célèbres de Voltaire sont bien inséparables de la défense du genre humain.

David Smith et Andrew Brown, La publication à Paris des Œuvres de Voltaire par Michel Lambert en 1751

Un «monstre bibliographique»: ainsi David Smith et Andrew Brown qualifient-ils la première édition des Œuvres de Voltaire du libraire Michel Lambert parue en 1751. L’article reprend chronologiquement l’histoire de cette publication. Commencée sans l’approbation de leur auteur, et sans qu’il ait pu ultérieurement corriger les épreuves, cette édition témoigne cependant du caractère tout à fait extraordinaire des mesures prises par Lambert pour tenir compte des exigences de Voltaire: à cet égard, certains des onze volumes ont été modifiés et réorganisés après leur impression même. Bien que l’illustre auteur ait marchandé ses éloges, le succès remporté par cette édition est largement justifié, grâce à la commodité de son format, à la qualité du papier et de l’impression, et à sa disponibilité immédiate auprès du public parisien.

Bertram E. Schwarzbach, En leurs propres mots: les lectures hébraïques de Voltaire

Partant de la traduction et de l’étude par Voltaire de certaines prières de la liturgie juive, l’auteur se demande à la fois où il les a trouvées et quels autres textes il a pu lire. A part les Livres de l’Ancien Testament, les ouvrages de la bibliothèque de Voltaire sont constitués des Voyages de Benjamin de Tudèle, de quelques polémiques, d’un guide des rites et cérémonies et de la Mishnah traduite et commentée par Willem Surenhuys. De leur côté, l’étude et la traduction par Voltaire des prières juives révèlent des choix et des adaptations qui peuvent être contestés, mais qui ne manquent pas de générosité. Le Patriarche était-il antisémite? Conscient des limites des ses sources, il n’a certes pas approfondi ses connaissances imparfaites, mais a pu dans certains cas prendre fait et cause pour la défense des Juifs.

Andrew Brown, Des notes inédites de Voltaire: vers une nouvelle édition de ses carnets

«149. Il y a une grande différence entre avoir de l’esprit pour soi, et pour les autres» – «640. Averroès est l’auteur du Mallebranchisme» - Ces deux phrases figurent parmi les quatre-vingts notes inédites de Voltaire qu’Andrew Brown répertorie et publie. En 1802, ont paru des Pensées, remarques et observations de Voltaire, ouvrage posthume. Mais la découverte d’une version antérieure et manuscrite de ce recueil, due à Nicolas Ruault, permet d’ajouter au corpus connu les notes mentionnées ci-dessus. Outre la recherche de leurs sources originales, il importerait de compléter l’édition de l’ensemble des «carnets» de Voltaire, en prolongeant le travail initié par Besterman entre 1952 et 1976. L’auteur propose d’accomplir cette tâche de découverte d’inédits ou de remaniement de l’existant, en mode électronique, autour d’une édition du texte intégral des carnets déjà publiés (voir c18.net/vo-carnets).

Alexandre Stroev, Comment Serguei Pouchkine vola Voltaire

L’auteur retrace la biographie d’un aventurier, qui est aussi le grand-oncle de l’illustre poète et dramaturge russe, et dont la particularité réside dans le fait d’avoir croisé la destinée de Voltaire, aux dépens de celui-ci. En 1760, le Patriarche attend de Saint Pétersbourg des documents pour poursuivre la rédaction de l’Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand. On lui dépêche Serguei Pouchkine, sergent de son état. Le soldat «escamote» le paquet contenant 2000 ducats et une collection de médailles: les honoraires et les sources historiques ont disparu à jamais pour Voltaire. Escroc et faussaire, le malfaiteur défraiera la chronique à travers toute l’Europe, avant de finir ses jours comme forçat dans un bagne russe.

Olivier Courcelle, Des fêtes du Pôle aux geôliers et couvents de France: itinéraire de deux Lapones

Mais qui étaient «les deux filles Lapones», présentes sur le vaisseau qui ramène des savants d’une expédition, et qui est saisi adroitement par Micromégas dans le conte de Voltaire? L’auteur s’est penché sur la célèbre mission scientifique française conduite par Maupertuis en 1736, et dont l’épisode de Micromégas se fait l’écho. En réalité suédoises et de culture finnoise, nos héroïnes étaient sœurs et s’appelaient Christine et Elisabeth Planström. L’article retrace l’histoire de ces filles, depuis les fêtes, les colins-maillards et les bals «polaires» jusqu’aux péripéties métropolitaines. Si le sort de Christine (à qui Maupertuis a «tourné la tête») peut se résumer à sa vie en pension à l’abbaye normande du Trésor, il n’en va pas de même pour Elisabeth dont les démêlés conjugaux ont défrayé pendant des années la chronique judiciaire.

Guillaume Métayer, Le «Candide» d’un voltairien fin de siècle, Jules Lemaître

L’auteur nous convie à une «réception» de Voltaire au tournant du XIXe et du XXe siècles, à travers la figure de Jules Lemaître, écrivain et critique, politiquement conservateur et antidreyfusard. On trouve des exemples du voltairianisme tel qu’il l’entend aussi bien chez le critique des Contemporains que chez le conteur d'En marge des vieux livres. Mais c’est dans Les médaillons, un recueil poétique de sonnets sur les grandes gloires littéraires françaises qu’on trouve un long poème concernant Candide, relu en quatrains et en alexandrins. Lemaître reprend à nouveaux frais la question posée par son illustre modèle, celle de la valeur de la vie. Au-delà de son kitsch et de ses facilités, le poème reflète assez fidèlement l’interrogation passionnée du conte voltairien et sa réponse asymptotique.

Cahiers Voltaire 7, 2008

Béatrice Ferrier, Le Samson de Voltaire: un «nouveau genre d’opéra»

En collaboration avec Rameau, Voltaire s’attache à partir de la fin de 1753 à la réalisation de Samson, une œuvre par laquelle il souhaite renouveler le genre. La tradition de l’opéra y est habilement exploitée en rapport avec le sujet biblique. L’œuvre lyrique est haussée à la noblesse de la tragédie antique, grâce à la prééminence de l’épique sur la pastorale. En transférant à l’épisode de l’Ancien Testament la dimension de merveilleux habituellement réservée à la mythologie, Voltaire use du grand spectacle pour remettre en cause les vérités bibliques, finalement assimilées à des fables. Les codes de l’opéra traditionnel sont ainsi transgressés au profit des idées contenues dans les Lettres philosophiques. L’article retrace les vicissitudes de la composition dont les deux étapes principales sont regroupées dans un tableau génétique et chronologique.

Stéphane Lamotte, Voltaire, le jésuite et la pénitente: l’affaire Girard-Cadière

En 1731, les relations entre le père Girard, jésuite, et Catherine Cadière, sa pénitente, font l’objet d’un procès retentissant, sur fond d’accusations de sorcellerie, d’inceste spirituel et de quiétisme. L’auteur se propose d’inventorier et d’analyser les rapports méconnus tissés entre cette affaire et l’œuvre de Voltaire. Sur la base d’une quinzaine de références, on peut dégager trois thèmes qui préoccupent Voltaire: le libertinage, la sorcellerie et le système judiciaire. Oscillant entre l’amusement et la condamnation de «l’infâme», le Patriarche demeure objectif et ne cède pas à l’anti-jésuitisme primaire. De fait, les circonstances ne se prêtent pas à l’engagement pour les grandes causes qui prévaudront dans les années 1760. L’affaire sert plutôt de «réservoir» pour les ingrédients sulfureux ou ridicules dont Voltaire parsème son œuvre.

Robert Chamboredon, Des placements de Voltaire à Cadix

Sur la base du «Registre des expéditions pour l’Amérique» conservé aux Archives départementales du Gard, l’auteur examine les placements effectués par Voltaire à Cadix, par l’intermédiaire des frères Gilly. On y découvre que, parmi les cinq cents personnes intéressées aux opérations vers le Nouveau Monde, Voltaire arrive en onzième position par l’importance des sommes engagées. Dans quelle mesure Voltaire fut-il impliqué dans la traite négrière? Parmi les soixante-trois placements qu’il a effectués, l’affrètement du «Saint-Georges» en 1751 comportait une escale en Guinée, destinée au chargement d’esclaves. Pour l’auteur, Voltaire a su qu’il était indirectement et à son corps défendant impliqué dans cette opération. Mais, sur fond de naufrages et de dérèglements spéculatifs, les désillusions vont succéder aux espérances mises par le Patriarche dans la libéralisation du commerce hispano-américain. Outre des fac-similés des pages du «Registre», l’article comporte en annexes les ventilations des placements de Voltaire par navire, par destination et par type d’affaires.

Marc Hersant, Le Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade: Voltaire historien de lui-même

Le Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade peut à bon droit être attribué à Voltaire comme une authentique tentative d’écriture de sa propre vie. Mais que signifie le choix de la raconter à la troisième personne? On peut lire ce Commentaire comme l’édification par l’auteur de sa propre statue, à l’heure où s’esquisse le retour triomphal à Paris. Mais on peut aussi le considérer comme une synthèse des représentations que Voltaire veut laisser de lui-même, nonobstant de subtils signaux d’auto-dérision. Alors on comprendra que l’auteur choisit de dire «il» par méfiance à l’égard du narcissisme du «je», afin de consacrer à travers la figure du grand homme une fonction sociale monumentale et véridique. Dans un certain sens, le Commentaire traduit un refus radical de ce qu’on appelle communément «autobiographie».

Cahiers Voltaire 6, 2007

Kees Van Strien, «Il n'est rien de tel que l'à propos...» L'accueil fait en Hollande aux Vers à Guillaume van Haren (1743)

A l'été 1743,sur le chemin de la Prusse, Voltaire séjourne à La Haye. Avant son départ, la monarchie française lui a proposé une mission auprès de Frédéric II pour sonder ses intentions concernant la guerre de Succession d'Autriche, dans laquelle la Hollande est impliquée. Dans ce contexte, Voltaire écrit douze vers sur Willem van Haren (1710-1768), poète, et surtout député pro-anglais, avec l'espoir de le gagner à la cause française. «Ta Gloire, ta vertu est de vivre sans maître / Et mon premier Devoir est de chérir le mien». L'auteur reconstitue les vicissitudes de ce poème, depuis ses cinq éditions successives et ses diverses traductions, jusqu'à la parodie dont il fut l'objet. Car le poème provoque une polémique retentissante. Considéré par Voltaire comme une «fadaise» il exprime en réalité le contraste entre la liberté hollandaise et l'asservissement sous une monarchie. Par où se trahit aussi l'embarras du chargé de mission, sujet du roi de France.

Andrew Brown et Ulla Kölving, Un manuscrit retrouvé de l'Essai sur les mœurs

A la fin de 1753 paraît chez Jean Neaulme une version altérée de l'Essai sur les mœurs, sous le titre d'Abrégé de l'histoire universelle. Soucieux de rétablir les véritables formulations pour éviter d'être compromis au regard de Versailles, Voltaire s'adresse à divers correspondants auxquels il a confié des copies de son texte. Les auteurs ont retrouvé dans la bibliothèque ducale de Gotha le manuscrit anonyme détenu par la duchesse de Saxe-Gotha et dont Voltaire avait fini par lui laisser la garde. Intitulé Essai sur les révolutions du monde et sur l'histoire de l'esprit humain depuis le tems de Charlemagne jusqu'à nos jours, il comprend un Avant-propos (dont les auteurs donnent le contenu intégral) suivi de 87 chapitres. Les auteurs relèvent enfin de grandes similitudes entre le texte redécouvert et la version de l'ouvrage parue dans le Mercure de France en 1745-1746.

David Smith (avec Andrew Brown, Daniel Droixhe et Nadine Vanwelkenhuyzen), Robert Machuel, imprimeur-libraire à Rouen, et ses éditions des œuvres de Voltaire

La collection des «œuvres complètes» de Voltaire a connu de multiples rebondissements et de nombreux promoteurs. Les auteurs sortent de l'ombre trois éditions d'œuvres réalisées entre 1748 et 1764 par Robert Machuel, grand spécialiste rouennais des éditions clandestines. Ils éclaircissent les circonstances de leur publication tout en examinant la complexité des liens qui les unissent. Ils se penchent d'abord sur la première édition collective supprimée à la demande de Voltaire, puis sur l'édition séparée de La Henriade de 1748 qui en aurait été tirée. Examinant plus rapidement les Œuvres de 1750, les auteurs étudient ensuite «le véritable monstre bibliographique» que constitue à leurs yeux la Collection complète de 1764. On trouve à la fin de l'article la reproduction des bandeaux et des culs-de-lampe gravés utilisés par Robert Machuel.

Moulay-Badreddine Jaouik, La part de l'islam dans l'élaboration du théisme voltairien

Doctorant de l'Université de Rouen, membre du Cérédi (Centre d'études et de recherche éditer-interpréter) l'auteur suggère qu'en lisant le Coran, Voltaire adhère à nombre des propositions qu'il renferme et que l'islam en général lui fournit divers éléments pour concevoir le «nouveau croyant» au théisme dont il fixe le «prototype». L'auteur montre l'intérêt précoce de Voltaire pour l'islam, puis comment la parenté entre le théisme voltairien et la religion de Mahomet se précise de plus en plus. Il en veut pour preuve le résultat de la comparaison qu'il établit entre l'article «Théiste» du Dictionnaire philosophique et des surates du Coran. Si l'islam a assisté le philosophe dans le procès d'un certain christianisme, «la religion de Voltaire» apparaît aussi comme une «religion de la réconciliation» qui réunit, au-delà des confrontations critiques et des paradoxes, deux religions que l'histoire a marquées du sceau de l'antagonisme. En définitive, l'islam représenterait le plus petit dénominateur commun des formes de religion épurées, naturelles et vraies dont Voltaire se fait le héraut.

François Bessire, Cédez aux lumières des ombres»: Charles-Louis Richard persécuteur de Voltaire

Qui se souvient du dominicain Charles-Louis Richard (1711-1794)? Grand oublié de la correspondance de Voltaire comme des biographies du Patriarche, il apparaît pourtant comme un adversaire à la fois virulent et particulièrement original des philosophes, et de Voltaire en particulier. Dans son Epître à Boileau, ou mon testament (1769), celui-ci s'en prend aux apologistes de la «vraie religion» et conclut par ce vers présageant un combat posthume: «S'ils ont des préjugés, j'en guérirai les ombres». Dans son Voltaire parmi les ombres, le père Richard retourne contre le philosophe le dispositif destiné à assurer sa postérité. Il renvoie les «Lumières» aux ténèbres et attribue aux «ombres» le pouvoir d'éclairer la véritable croyance. Devant Voltaire finalement réduit aux terreurs de l'expiation, Aristophane parle en dévot chrétien, Bayle justifie l'intolérance, Socin renie son hérésie... Le royaume des ombres se présente comme l'antimonde des philosophes: il y a incompatibilité absolue entre les Lumières et la religion.

Andrew Brown, Le Discours à l'Académie française de 1778 et les derniers écrits de Voltaire

«Messieurs, j'ai cru ne pouvoir mieux témoigner ma respectueuse reconnaissance à l'académie qu'en lui proposant une entreprise digne de sa gloire...». Ainsi commence le texte inédit du «discours» ou «projet de discours» prononcé par Voltaire lors de la séance de l'Académie française du 7 mai 1778, en vue d'inciter ses confrères à entreprendre un nouveau dictionnaire de la langue française. En publiant ce texte, l'auteur relate les circonstances qui l'ont accompagné ainsi que les difficultés que Voltaire rencontre auprès de ses confrères. Il aura sans doute surestimé leur enthousiasme, les capacités de survie du projet et les siennes propres. A sa mort, l'Académie rejette le fardeau imposé par son directeur et revient temporairement à ses habitudes.

Lucien Choudin, Ils ne voulaient pas l'enterrer... Grands émois à Ferney en juin 1778

On connaît les enjeux et les manoeuvres qui entourèrent la mort de Voltaire à Paris, ainsi que les péripéties survenues dans la capitale autour de la question de l'inhumation du philosophe en terre chrétienne. Il manquait les réactions du clergé local. L'auteur comble cette lacune en présentant et en publiant la correspondance échangée entre Pierre Hugonet, curé de Ferney et Mgr Jean-Pierre Biord, évêque d'Annecy, ces documents étant conservés à l'Institut et Musée Voltaire (Genève). Il y ajoute une pièce supplémentaire, à savoir l'article inséré par le roi de Prusse dans la Gazette de Berlin du 30 mai 1780.

Gérard Gengembre, Etait-ce la faute à Voltaire? L'antivoltairianisme de Bonald

L'auteur s'emploie à montrer pour quelles raisons Voltaire occupe une place de choix parmi les cibles favorites de Louis de Bonald (1754-1840), théoricien de la Contre-Révolution. On ne peut comprendre ce statut particulier qu'en rappelant la célèbre formule de Bonald: «la littérature est l'expression de la société». Il y a réciprocité entre l'état moral d'une société et l'art, notamment sous sa forme littéraire. Alors Voltaire apparaît comme le paradigme et l'expression d'une déliquescence des mœurs (à travers son théâtre) et d'une décadence dont témoigne son œuvre d'historien discrédité, de philosophe railleur et désolant, de prosateur déclassé. C'est pourquoi l'antivoltairianisme se situe au centre de la dénonciation par Bonald du siècle des Lumières, de la Révolution et de la conception moderne de l'écrivain.

Cahiers Voltaire 5, 2006

Gerhardt Stenger, Sur un problème mathématique dans la XVIIe «Lettre philosophique»

Malgré des liens suivis avec Maupertuis, d’Alembert et Condorcet, le rapport de Voltaire aux mathématiques apparaît comme un rendez-vous manqué. Pourtant, devant présenter un aspect essentiel de l’activité scientifique de Newton, il s’est attaché à présenter l’histoire du calcul infinitésimal dans la XVIIe de ses Lettres philosophiques. Ce texte n’a pas attiré l’attention des commentateurs. Or, l’auteur montre que l’information de Voltaire apparaît de seconde main et qu’il n’a pas surmonté les difficultés de la question. Celles-ci concernent la relation entre les suites infinies, la formule binomiale et le calcul infinitésimal. Est aussi concernée la fameuse querelle sur la priorité dans l’invention des suites infinies et du calcul infinitésimal qui opposa Newton à Leibniz.

Gilles Plante, Un secret bien gardé: «La Cabale» de Saint-Foix, «parodie» muselée de «Sémiramis»

La création de Sémiramis en 1748 semblait pouvoir être lue exclusivement sous l’angle de la querelle de Voltaire avec Crébillon père, les projets de parodie de la tragédie apparaissant comme de lamentables échecs. Or, Gilles Plante a identifié Poullain de Saint-Foix (1699-1776) comme l’auteur d’une véritable parodie de Sémiramis, sous couvert de sa pièce intitulée La Cabale (1749), à condition d’utiliser les bonnes clés de lecture. Il nous livre ces clés, notamment en confrontant les épisodes initiaux du manuscrit de 1749 à la version imprimée de 1762. Ainsi, La Cabale présente tous les aspects d’un pamphlet bien ficelé contre le Patriarche. Il revient pour finir aux problèmes en suspens concernant les motivations de l’ouvrage, la «guerre civile» entre Voltaire et Crébillon, et les menées erratiques de la censure.

Françoise Tilkin, L’expression littéraire des valeurs dans» Le monde comme il va»

Reprenant les présupposés de l’approche des contes voltairiens effectuée par Roy S. Wolper, l’auteur applique à l’étude du Monde comme il va une question d’ordre général: comment le récit présente-t-il et ordonne-t-il les valeurs qu’il transmet inévitablement? Divers procédés interviennent dans la «mise en texte des valeurs». L’auteur envisage successivement: 1) dans le péritexte (cf. G. Genette): le rôle du titre; 2) dans le texte: la redondance, la structure de l’histoire, les faits de voix et de mode qui fondent l’autorité narrative; 3) la caractérisation des personnages. Conte-type à structure d’apprentissage, le Monde comme il va est mis au service de la satire (comment juger Persépolis?) et d’un jugement conceptuel et moral (comment juger du bien et du mal?). C’est la stricte analyse interne qui permet d’établir le lien entre le texte et ses valeurs, ce préalable nécessaire n’excluant pas, dans l’esprit de Françoise Tilkin, l’examen des rapports de l’auteur et de son œuvre, le souci du contexte social ou l’intérêt porté à la forme seule.

Kees van Strien, Les voltairiana des archives diplomatiques néerlandaises

Les archives néerlandaises sont relativement riches en documents voltairiens et en voltairiana. L’auteur a dépouillé les archives des Etats généraux de Hollande, du stathouder et de deux figures politiques importantes de l’époque: Pieter Steyn (1706-1772) et Hendrik Fagel (1706-1790). Il s’est concentré sur les années 1750-1753, période du dernier séjour de Voltaire à Berlin. Des documents contribuent ainsi à éclairer ce qu’on a appelé «l’affaire Hirschel» du nom de ce juif en procès avec Voltaire. D’autres concernent l’arrestation, puis la séquestration de Voltaire à Francfort, épisode remarquable de ses relations avec Frédéric. Tous ces éléments incitent à soutenir une attention renforcée à l’égard de ces archives.

Lucien Choudin, Bâtir Ferney: les maisons du «champ Brelet»

Quand à la fin de l’année 1762 Voltaire eut achevé la reconstruction de son château, il s’attela à la construction du village de Ferney. C’est sur un immense pré, le «champ Brelet», qu’il établit les acteurs principaux de cette tâche: maçons, charpentiers, notaire, et le fidèle Wagnière. En choisissant cet emplacement, Voltaire redéfinit le centre du village. L’auteur retrace la destinée de ce lieu stratégique en détaillant les concessions d’artisans accordées par Voltaire et Mme Denis. Ayant restitué l’affaire de la maison Raffo, il relate ensuite l’installation de Wagnière au champ Brelet, tout en soulignant l’implication du zélé secrétaire dans la vie communale. La reproduction d’un beau pastel de Wagnière, ainsi que des photos d’états successifs de sa maison jusqu’à nos jours complètent l’ensemble.

Irina Zaitseva, Des «marginalia» inédits de Voltaire sur deux livres de sa bibliothèque retrouvés à Tsarskoë Selo

On découvre toujours des fragments inédits de Voltaire. Ce fut encore le cas en 2005 avec la découverte dans la collection de livres rares du Musée d’Etat de Tsarskoë Selo, de deux ouvrages ayant figuré dans la bibliothèque de Voltaire à Ferney, et qui portent des annotations de sa main. Il s’agit d’œuvres philosophiques de Fénelon en deux volumes (Amsterdam, Zacharie Chatelain, 1731) et d’un Essai général de tactique du comte de Guibert (Londres, Libraires associés, 1772). Outre des marques de lecture diverses, ces deux ouvrages totalisent soixante-neuf marginalia voltairiens. L’auteur donne un relevé de ceux-ci sur le livre de Guibert, inédits jusqu’ici, en se proposant d’effectuer ultérieurement le même travail pour Fénelon.

Branko Aleksic, Voltaire lu par Rétif

L’auteur présente un texte qu’il donne en appendice, à savoir cinq feuillets relatifs à Voltaire, extraits du Memento, titre donné à un carnet de Rétif de la Bretonne. Les références incessantes de Rétif et l’admiration vouée au Patriarche lui ont valu le titre de «Voltaire des femmes de chambre» Faut-il entériner ou rectifier ce jugement sévère des contemporains? L’auteur retrace les rapprochements qui, depuis Nerval, ont associé les deux écrivains. Dans la lignée des travaux de Pierre Testud (voir par exemple Rétif de la Bretonne et la création littéraire) l’auteur montre à la fois le désir de Rétif d’être reconnu par Voltaire, mais aussi le fait que le Patriarche a méconnu le dépassement par Rétif de son statut initial d’écrivain autodidacte issu du peuple.

Cahiers Voltaire 4, 2005

André Magnan, «Mes très chers et très aimables enfants...». Une lettre inédite de Voltaire à ses neveux Denis

Qui était M. Denis? L’époux de Marie-Louise Mignot, devenue Mme Denis par son mariage, apparaît comme une figure assez fantomatique du petit monde voltairien. Or une lettre reparue en 2004 dans un catalogue de vente, et adressée matériellement par Voltaire à sa nièce, concerne en réalité aussi ce Nicolas-Charles Denis. Il entre ainsi concrètement dans la liste des correspondants de Voltaire et dans l’espace de ses relations privées. L’auteur donne à lire, d’après l’original retrouvé, cette première lettre de Voltaire aux Denis, datée de «ce 8 janvier a Bruxelles» (I741). Vingt petites lignes «aériennes et câlines» dont André Magnan propose ensuite un commentaire. «Mes tres chers et tres aimables enfans»: entre les deux astres sublimes (Emilie et Frédéric) se dessine à travers le «microcosme» du «couple aimable» des Denis, la sphère modeste d’un espace privé et protégé, dont Voltaire éprouva tour à tour le besoin et le regrat, le désir et la nostalgie.

Charlotte Simonin et David Smith, Du nouveau sur Mme Denis. Les apports de la correspondance de Mme de Graffigny

Les auteurs se proposent de mettre à la disposition des biographes de Mme Denis des renseignements nouveaux, contenus dans la correspondance inédite de Mme de Graffigny, et de jeter un éclairage renouvelé sur les rapports entre Voltaire et sa nièce. La période ainsi couverte part de la première mention de Mme Denis par l’épistolière en décembre 1738, et aboutit à une mention finale en 1756. Sans doute cette correspondance est-elle tributaire de la nécessaire critique des sources. Mais les révélations qui y sont apportées apparaissent essentiellement authentiques, comme celles concernant les rapports de Mme Denis et de son oncle, les secrets de Mme Du Châtelet, l’édition originale de Micromégas, ou encore la perspective d’un mariage entre Voltaire et Mme de Lutzelbourg.

Nadejda Plavinskaia, Trois lettres d’Emilie Du Châtelet retrouvées dans les archives moscovites

L’auteur livre dans l’ordre chronologique le contenu de trois lettres d’Emilie Du Châtelet (dont deux inédites) appartenant au fonds Orlov, archives conservées au Musée historique de Moscou. Le texte du premier autographe figure depuis longtemps dans la correspondance de Voltaire: datée par hypothèse de novembre 1735, la marquise s’y adresse au duc de Richelieu, alors qu’elle mène depuis deux ans avec Voltaire une vie dont elle chante le bonheur. Le deuxième autographe peut être daté du 14 janvier 1737. Il s’agit d’une lettre au comte d’Argental, se situant pendant la crise de l’hiver 1736-1737, quand Voltaire est obligé de fuir Cirey pour la Hollande après le scandale causé par la publication du Mondain. Le troisième autographe, daté du 19 octobre 1738, est constitué du brouillon d’une lettre de l’épistolière à Mme de Graffigny. Emilie lui offre son hospitalité, tout en sollicitant sa médiation dans un procès concernant le legs au couple Du Châtelet d’une propriété flamande.

Andrew Brown et André Magnan, Aux origines de l’édition de Kehl. Le «Plan» Decroix-Panckoucke de 1777

Début octobre 1777, Voltaire reçut à Ferney MM. Panckoucke et Decroix qui lui proposent un cadre formel pour servir de base à une nouvelle édition de ses œuvres complètes. C’est ce Plan, base de l’édition Panckoucke, puis de l’édition de Kehl qui la relaya, que les deux auteurs présentent, en le tirant d’un long oubli des collections de l’Institut et Musée Voltaire de Genève. Ils l’envisagent sous un double éclairage. D’abord sous l’angle d’ un projet laissant indéterminées les perspectives à venir, et ensuite à l’inverse en repartant de l’édition de Kehl pour lire ce Plan à la lumière de son aboutissement. Les deux auteurs donnent le texte du Plan initial avec de très nombreuses notes, puis en annexes le «Tableau» de l’édition de Kehl (dessin reproduit en fac simile), la structure définitive de l’édition, et reproduisent enfin une lettre de Decroix au libraire et éditeur Jacques-Simon Merlin du 6 septembre 1819. L’épistolier y résume l’épopée de la publication de l’édition de Kehl, depuis les débuts de son amitié avec Panckoucke jusqu’au rôle ultime de Condorcet.

Christophe Paillard, Du copiste au secrétaire. Jean-Louis Wagnière, éditeur de Voltaire?

L’histoire des copistes et secrétaires du XVIIIe siècle, médiateurs entre l’auteur et son texte, reste à écrire. Attaché au service de Voltaire de 1754 à 1778, quel rôle exact a joué le Vaudois Jean-Louis Wagnière, que le Patriarche appelait tour à tour «mon scribe», «mon clerc», «mon ami», ou encore le «confident» et le «témoin»? Au terme d’une enquête circonstanciée, l’auteur montre que certains aspects de l’histoire des œuvres complètes de Voltaire et par exemple la présence ou l’absence de certaines pièces dans l’édition de Kehl, s’expliquent par l’action ou l’abstention de Wagnière. Mais ces lumières nouvelles entraînent des interrogations sur le devenir des textes, et sur le statut des additions et des corrections que Wagnière proposa. D’où la nécessité d’une attention renforcée à l’égard du fidèle et zélé secrétaire.

Roger Bergeret, A propos d’une lettre de Christin à Panckoucke. Une correspondance de Voltaire, des originaux à la publication

«Je vous adresse par cet ordinaire sous le couvert de M. de Vergennes une partie de ma correspondance avec M. de Voltaire». Ainsi débute la lettre publiée par Roger Bergeret, et que l’avocat Christin (1741-1799), homme de confiance de Voltaire, avait adressée le 23 septembre 1778 au libraire et imprimeur Panckoucke. On y constate un grand souci de vérité et d’authenticité dans la perspective d’une édition post mortem de l’œuvre du Patriarche. Evoquant les principaux éléments du statut de Christin auprès de Voltaire, dont il est l’exécuteur testamentaire, l’article situe les circonstances de la rédaction de cette lettre, axée sur le projet de Panckoucke d’une «correspondance» du Patriarche. Sont enfin examinées les vicissitudes subies par les lettres de Voltaire à Christin, de l’édition de Kehl à celle de Besterman.

Gabrielle Chamarat, Voltaire et Nerval, délices ou tourments?

Qu’est-ce qui peut rapprocher une pensée areligieuse et polémique comme celle de Voltaire et l’œuvre d’un écrivain romantique comme Gérard de Nerval qu’on juge – à tort selon l’auteur – obscur et peu ouvert à l’»esprit voltairien» ? L’auteur montre que la présence du philosophe est plus importante chez Nerval qu’il n’y paraît au premier abord. Sans oublier l’influence germanique exercée sur son jugement, Nerval apparaît à travers des textes très variés – journalistiques, monographiques, fictionnels - comme un lecteur attentif et original du Patriarche. A la fin de ce parcours, l’auteur montre comment l’ironie satirique de Voltaire est placée par Nerval lui-même en contrepoint des tourments infernaux de la maladie mentale dont Aurelia porte la marque. Plus largement, ce qui unit «les enfants du siècle» au génie voltairien, c’est un scepticisme où l’on reconnaît l’énergie d’une pensée en quête de son propre dépassement, et soucieuse de porter l’homme plus haut. Ce qui fait de Voltaire un moment délectable dans une histoire de la pensée et de la littérature jamais achevée.

Cahiers Voltaire 3, 2004

Henri Duranton, Voltaire et la calotte: histoire d’un exorcisme

Dans de multiples passages de ses œuvres, Voltaire appelle ses confrères en littérature à pratiquer une critique constructive et désintéressée. Mais le Patriarche a-t-il toujours accordé son comportement d’écrivain à ces beaux principes? Ce serait oublier par exemple le véritable acharnement haineux avec lequel Voltaire poursuit ses ennemis J-.B. Rousseau ou Desfontaines. D’une manière générale, si Voltaire se veut un modèle pour son siècle et appelle à la concorde, il ne supporte pas les critiques dont il n’est pourtant pas lui-même avare. Victime de «calottes» (dont l’auteur dresse une liste), il semble bien avoir lui-même sacrifié à cette littérature satirique et burlesque. Son Mémoire sur la satire apparaît alors comme un exorcisme de ce passé «calotin» désormais révolu. Le temps des polémiques autour du «philosophe impie» peut advenir.

Elisabeth Badinter, Le viol de Mme Denis: hypothèse ou roman?

En juin 1753 à Francfort, Mme Denis a-t-elle été victime d’un abus sexuel dont un sbire de Frédéric II se serait rendu coupable? Ou bien l’épisode a-t-il été monté en épingle par Voltaire pour étoffer son réquisitoire contre le roi de Prusse? Sur la base de connaissances récemment acquises et à la lumière de la sensibilité actuelle à l’égard du viol (crime hier minoré), l’auteur reconstitue les faits et ses prolongements, à travers les témoignages et les correspondances de l’époque. Il est très difficile, s’agissant de Voltaire et de Mme Denis, de démêler la part de véracité de leur propos de celle de la comédie qu’ils veulent donner. Mais cette affaire contribuera longtemps à alimenter le contentieux entre Voltaire et le roi de Prusse. Hypothèse ou roman? Aucune option ne peut être écartée.

Lucien Choudin, Bâtir Ferney: le champ de «La Glacière»

L’auteur traite de l’aménagement par Voltaire du champ de la Glacière, un lieu-dit de Ferney, aujourd’hui totalement ignoré. A l’époque de Voltaire, il s’étendait de l’allée du château à la route de l’église actuelle, et de la route de Gex à Genève jusqu’au voisinage du cimetière actuel. Entre 1762 et 1776, dix constructions y sortirent de terre. Le processus est représentatif de l’activité et de la politique immobilière du Patriarche, notamment pour favoriser l’implantation de nouveaux colons. En s’appuyant sur de nombreuses pièces d’époque, l’auteur reconstitue l’historique de ces dix maisons, depuis leur origine jusqu’à nos jours. Sont ainsi analysés dans chaque cas le contrat conclu, les partenaires ou bénéficiaires, la construction elle-même et son devenir. Un plan d’époque et des photos de l’état actuel du site complètent cet ensemble.

Sergueï V. Korolov, Encore des livres retrouvés de la bibliothèque de Voltaire

Telle qu’elle est actuellement constituée, la bibliothèque de Voltaire conservée à Saint Pétersbourg ne reflète pas exactement le contenu des caisses parvenues jadis de Ferney. D’un côté, des volumes d’autres bibliothèques y ont été incorporés. De l’autre, un certain nombre de livres en ont été extraits au profit, notamment, de la Bibliothèque nationale de Russie. L’auteur y a effectué des recherches et livre une liste détaillée de vingt-cinq ouvrages retrouvés, en donnant à chaque fois la référence au catalogue de la bibliothèque initiale que Voltaire et son secrétaire Wagnière avaient dressé.

Nicole Jacques-Lefèvre, «Le monstre subsiste encore»: d’un usage philosophique de la sorcellerie chez Voltaire

Révélant une véritable «passion sorcière», l’œuvre de Voltaire apparaît comme un jalon inestimable dans l’histoire de la représentation de la sorcellerie. L’auteur interroge les manifestations et les enjeux d’un tel intérêt. La sorcellerie trouve naturellement sa place dans le combat contre l’Infâme: la chasse aux sorciers représente pour Voltaire à la fois le symbole de l’absurdité des croyances, et le signe d’une intrusion inadmissible de l’Eglise dans les affaires des Etats. L’importance stratégique de cette mobilisation autour de la sorcellerie apparaît dans les luttes de Voltaire en faveur des différents persécutés: Calas, Sirven, le chevalier de la Barre. Ces nouvelles victimes renvoient symboliquement à la chasse aux sorciers comme au paradigme d’une oppression multiforme dont elles sont les héritières.

Jacques Spica, Territoire de la philosophie

Parce qu’une révolution dans les esprits, dont on doit l’idée à Voltaire, a précédé un renversement de régime, un rapprochement s’est effectué entre Philosophie et Révolution. Aussi peut-on se demander quel sens attribuer au titre de Philosophe que le Patriarche lui-même revendiquait. Pour Voltaire, la philosophie n’est pas un corps de doctrine, mais une force de basculement d’une époque à une autre. Une nouvelle conception du monde s’y fait jour, conforme aux acquisitions récentes de la science, de l’art et de la pensée. Sous l’égide de Voltaire, la philosophie devient un territoire. C’est une force créatrice d’histoire qui introduit l’exigence d’action dans des domaines réservés jusque là à la spéculation. Mais ce mouvement se prolonge dans la fondation d’un territoire nouveau, celui de la littérature en tant qu’elle devient autonome. Elle est dégagée des pouvoirs en place, mais surtout elle réunit sous le règne du Patriarche les trois fonctions constitutives de la société (d’après Georges Dumézil): le prêtre (Voltaire «chef d’Eglise»), le soldat (Voltaire polémiste et combattant), le laboureur (Voltaire à Ferney).

Georges Benrekassa, La double nature du «witz»: les limites de la philosophie

Witz: le terme allemand est improprement rendu par «mot d’esprit» ou même par la «facétie» voltairienne. L’auteur se propose de l’appréhender comme caractéristique d’une forme d’expression philosophique, non pas sur le mode du discours démonstratif ou didactique, mais en tant que le witz représente un style de pensée uni à une autre économie du langage et de la communication. L’auteur suit le parcours sémantique du witz à travers le romantisme (Friedrich Schlegel) puis l’idéalisme allemand pour montrer qu’ils recèlent un impensé que l’»esprit» des Lumières fera apparaître. Chez les penseurs des Lumières, les formes du witz traduisent un rapport complexe à la «transgressivité» maîtrisée de leur pensée. Confrontant à ce sujet Voltaire à Diderot et Rousseau, l’auteur montre que la pratique voltairienne du witz tient à un combat «impur» (cette «impureté» étant constitutive de la notion) contre la vieille rhétorique, en opposant le mot d’esprit au discours, le sarcasme à la sentence, l’ironie au mot d’ordre. L’héritage du witz jusqu’à nos jours porte la marque de ce bouleversement des limites canoniques de la philosophie.

Cahiers Voltaire 2, 2003

François Bessire, Ferney, les lieux d’un pèlerinage

Aristocrates, savants, confrères, grands esprits et jeunes gens, philosophes ou premiers «touristes»: avec de multiples motivations, le «pèlerinage» à Ferney intéresse des visiteurs de qualité et de statut très divers. L’auteur s’appuie sur une abondante série de récits de visite à Ferney, échelonnés entre 1763 et 1845 et sur une définition du concept de pèlerinage tel qu’il découle de l’anthropologie religieuse moderne. Mais l’expérience de transcendance généralement éprouvée par les visiteurs de Voltaire ne relève en rien d’une manifestation divine ou d’une référence à l’au-delà. Dans le moule d’une démarche traditionnelle, c’est l’homme émancipé et autonome qui trouve à Ferney l’occasion de manifester avec éclat ses possibilités.

Jean-Noël Pascal, Le Ferney d’un jeune Espagnol

En 1807, parait la Jeunesse de Florian ou Mémoires d’un jeune Espagnol, ouvrage dans lequel le fameux fabuliste languedocien livre une autobiographie romancée, les personnages réels apparaissant sous des noms d’emprunt. Ainsi sont rapportés deux séjours qu’enfant, puis adolescent, le narrateur a effectués à Fernixo (Ferney), où il rencontre au milieu de son entourage Lope de Vega (Voltaire) et dona Nisa (Mme Denis). Au-delà des épisodes picaresques et du regard porté par le mémorialiste sur le jeune garçon égocentrique qu’il fut, le texte de Florian nous livre un incomparable portrait de Voltaire à Ferney. Bien plus, ce petit-neveu par alliance que le Patriarche surnommait Florianet a trouvé dans «le jardin enchanté du vieillard souriant» sa vocation d’auteur.

Piotr Zaborov, Ferney vu par les Russes

Du vivant de Voltaire, une vingtaine de visiteurs russes se rendirent à Ferney. Pour la plupart, il s’agissait d’aristocrates éclairés, dotés de préoccupations littéraires. Chez Voltaire, ils venaient trouver «le roi non couronné de l’Europe», le «Patriarche», l’«ermite» ou encore le «sage» de Ferney. L’auteur dresse la liste de ces personnalités, puis rend compte de leur visite en utilisant principalement la correspondance de Voltaire et les trop rares traces écrites des principaux intéressés, parmi lesquelles le témoignage de la princesse Ekatérina Dachkova (1743-1810). Après la mort de Voltaire, et au cours du XIXe siècle, les «pélerins» russes poursuivent, sous des ormes et avec des centres d’intérêt divers, la tradition inaugurale. Alors qu’on a observé au XXe siècle une interruption quasi-totale de la fréquentation de Ferney par les Russes,l’auteur espère que le siècle naissant restaurera le lien établi jadis

Muriel Cattoor, «Mon château, l’œuvre de mes mains»

En 1758, Voltaire acquiert le domaine de Ferney, où il s’installera presque définitivement en décembre 1760. Le choix du lieu et l’installation revêtent une dimension à la fois stratégique et symbolique. L’établissement dans ce que Voltaire nomme ses «déserts» correspond à la création d’un lieu intermédiaire, favorable à une fuite éventuelle, et dans lequel le «vieux Français» se trouve «le cul par terre entre trois selles» (française, genevoise et suisse). Décentré, Voltaire va créer un nouveau centre de la vie française et européenne. Mais se disant lui-même «homme de lettres, ouvrier en paroles», l’ermite présente sa demeure dans ce raccourci significatif: «mon château, l’œuvre de mes mains». L’auteur montre comment Voltaire cherche à fondre une œuvre, un auteur et un lieu dans un même principe d’écriture créatrice (notamment épistolaire). A l’image de l’ermite malingre, malade et défait, répond la frénésie de construction et de composition du résident et bâtisseur. Et finalement, l’édification de Ferney finira par faire écho à la déification de Voltaire, de son vivant même.

Alexandre Malgouverné, Voltaire et la construction de Ferney

«Fernex, depuis le séjour du grand homme qui en etoit le seigneur, d’un petit et pauvre hameau est devenu un bourg aussi bien bati qu’habité», écrivait en 1779 Morlet du Boisset, militaire chargé des levés de la carte du pays de Gex. A partir de l’étude du fac simile de la comptabilité de Voltaire, et notamment des dépenses affectées à partir de 1768 à un artisan ou à une construction, Alexandre Malgouverné précise la chronologie de la construction du «bourg» de Ferney et souligne l’implication des artisans du bâtiment. Il évalue également le profit que ceux-ci en ont retiré et fixe, outre le coût de fabrication des maisons, le prix des matériaux utilisés. Ainsi voyons-nous naître sous nos yeux une ville nouvelle au siècle des Lumières.

Raymond Trousson, Quand un colonel suisse faisait la leçon à Voltaire et à Rousseau

C’est parce qu’il a été l’oncle de Benjamin Constant et le confident de la future madame de Charrière qu’on se souvient encore de Constant d’Hermenches (1722-1785). Mais à son époque, ce militaire de carrière né à Lausanne put passer pour un familier de Voltaire, auquel il rend visite périodiquement et dont il jouera plusieurs pièces de théâtre, le Patriarche appréciant ses talents d’acteur. Néanmoins en 1763, Voltaire publie son Catéchisme de l’honnête homme, classique profession de foi désiste et universaliste. D’Hermenches prétend répliquer au rationalisme voltairien par le fidéisme consolateur de sa Réponse d’un Suisse au Catéchisme d’un honnête homme, favorable aux religions instituées. Voltaire éludera la discussion avec ce théologien occasionnel. D’Hermenches n’inquiétera pas davantage Rousseau en publiant ensuite des Réflexions d’un Suisse à son fils, sur le Discours de J.J. Rousseau, contre les arts et les sciences, propres seulement à rehausser dans les salons ses talents de brillant causeur et d’aimable homme d’esprit.

Andrew Brown et Ulla Kölving, Qui est l’auteur du «Traité de métaphysique»?

Voltaire n’est pas toujours le seul auteur des œuvres parues sous son nom. A Cirey, il a étroitement collaboré avec Emilie Du Châtelet à des textes scientifiques et philosophiques. Quelle est la part prise par l’un et l’autre dans leur rédaction? Sans pouvoir vraiment fournir de réponse, l’examen d’un manuscrit du Traité de métaphysique, conservé à la Bibliothèque nationale de Russie à Saint Pétersbourg, éclaire partiellement cette question. Mme Du Châtelet intervient dans l’élaboration de ce texte comme auteur et comme critique. Il est difficile néanmoins de démêler la part prise par chacun, tant l’entreprise menée en commun est conçue par les deux auteurs comme le fruit d’un travail collectif.

Lucien Choudin, Simon Bigex contre Antoine Adam, suite et ...fin? Nouveaux documents inédits sur le père Adam

L’auteur revient sur le conflit qui opposa au château de Ferney l’ex-jésuite Antoine Adam au savoyard Simon Bigex, au cours de l’été 1769. On a pu considérer cet épisode, qui aurait irrité Voltaire, comme «une affaire de pommes», le père Adam ayant accusé Simon Bigex d’avoir volé ces fruits dans un jardin. L’auteur nous livre une pièce dans laquelle la justice condamne le père Adam à une réparation d’honneur (17 novembre 1769). Mais c’est le vainqueur qui s’en va, alors que le père Adam restera en place jusqu’en 1776. L’auteur produit une pièce de cette époque qui témoigne alors de son renvoi par Voltaire. Une ultime pièce des archives d’Etat de Genève enregistre la mort du père Adam le 6 octobre 1787.

Stepan Zakharkine, Une lettre inconnue de Voltaire à Kyiv

L’auteur a exhumé une lettre inédite de Voltaire des Archives historiques centrale d’Etat d’Ukraine à Kyiv (Kiev). Adressé à «mon cher esculape», ce message a certainement pour destinataire le célèbre médecin genevois Théodore Tronchin (1709-1781). Deux autres clientes de Tronchin y sont mentionnées: Charlotte Pictet et la duchesse d’Enville. Compte tenu des circonstances, on peut situer la date de la lettre entre le 23 mai et le 7 juillet 1762. L’auteur appelle à la poursuite des recherches dans les archives d’Ukraine qui pourraient réserver encore bien des surprises.

Sergueï Karp, La «Voltairiade» de Huber: identification d’un tableau

On connaît bien la «Voltairiade» de Jean Huber, cycle pictural conservé au musée de l’Ermitage de Saint Pétersbourg et qui représente la vie du Patriarche à Ferney. Dans cet ensemble figure un tableau d’apparence mystérieuse (reproduit dans l’article) connu sous le titre: «Voltaire dans une scène de théâtre», suivant l’interprétation de Vladimir Frantsevitch Levinson-Lessing en 1936. Mais l’auteur a découvert dans les Archives d’actes anciens à Moscou un catalogue des tableaux de Huber rédigé personnellement par Grimm. Or la description du tableau n° 7 intitulé «le Voleur de bois» correspond trait pour trait à la toile censée représenter «Voltaire dans une scène de théâtre». On peut donc penser qu’il s’agit de sa véritable attribution.

Bruno Demoulin, Documents inédits sur un manuscrit clandestin de la correspondance entre Voltaire et Frédéric II (1758)

L’auteur a effectué des recherches sur les relations entre la France et la principauté de Liège. C’est l’occasion de la découverte d’un échange de correspondance entre Durand d’Aubigny, ministre plénipotentiaire à Liège, et l’abbé comte de Bernis, secrétaire d’Etat. L’examen de ces lettres jette un éclairage nouveau sur le devenir d’un manuscrit de la correspondance entre Voltaire et Frédéric II détenu jadis par un certain Vauger, et dont on peut reconstituer la destination finale.

Dominique Pety, Un poème en prose anti-voltairien des Goncourt: «La maison que j’aime»

En 1868, les frères Goncourt donnent à la Revue des lettres et des arts un poème en prose, La Maison que j’aime. Cette description de lieu essentiellement sensorielle sert de cadre à une grande mise en scène ironique de Voltaire. L’auteur donne le texte de ce poème à la fin de son article. Dans cette maison, Voltaire occupe seul tous les «rayons» de livres. Tour à tour, il promet au vieillard qui habite la demeure «Dieu, le diable et le néant». Voici Voltaire qui «le berce et le berne, qui le turlupine, qui le barbouille, le confesse...». S’appuyant sur de larges extraits du Journal des deux frères, l’auteur éclaire ce texte en montant comment les Goncourt ont porté le fer contreVoltaire, autour de considérations esthétiques, mais surtout avec un enjeu politique central.

Cahiers Voltaire 1, 2002

André Magnan, Pour Marie-Louise Denis

Qui était Marie-Louise Denis? La tradition biographique s’est montrée généralement sévère à l’égard de la nièce de Voltaire. Sur les extrapolations scabreuses de Longchamp et les ruminations frustrées de Wagnière, les biographes du XIXe siècle ont renchéri, en ajoutant préjugés et stéréotypes misogynes. Au vu de la nouvelle donne documentaire, l’auteur pose les premiers jalons en vue de la réévaluation d’une figure qui constitua sans doute pour Voltaire, hors l’écriture, son lien le plus stable. L’article retrace ainsi les péripéties d’une liaison hors du commun, à travers correspondances et confidences, séparations et retrouvailles. Jusqu’aux derniers jours de la «chère enfant» qui s’éteint le 20 août 1790, moins d’un an avant que la dépouille de Voltaire entre au Panthéon.

Jean-Noël Pascal, «Que la témérité de votre pied est grande»: quelques réflexions autour d’«Œdipe travesti, parodie de la tragédie d’Œdipe de M. de Voltaire»

Le 18 novembre 1718 eut lieu la première d’Œdipe, tragédie de Voltaire. A peine cinq mois après, une parodie de Dominique (Pierre-François Biancolelli, 1680-1734) est créée à son tour. Cette création, qui obtint autant de succès que la pièce d’origine, marque l’acte de naissance de la parodie dramatique au XVIIIe siècle. Par ailleurs, cet Œdipe travesti joua un grand rôle dans les débats qui opposèrent détracteurs et thuriféraires du jeune dramaturge d’Œdipe. L’auteur confronte les deux textes, en tenant compte de la seconde édition de la pièce de Voltaire, et en se faisant l’écho des critiques contemporaines. Il montre comment, en prêtant lui-même la main aux polémiques surgissant autour de sa pièce, Voltaire en assura la promotion et partit à la conquête du statut d’auteur important.

Marc Buffat, Voltaire selon Faguet, ou l’irréligion de Voltaire

Les textes les plus importants qu’Emile Faguet (1847-1916) a consacrés à Voltaire figurent dans le volume Dix-huitième siècle de ses Etudes littéraires et dans un livre intitulé Voltaire. Dans les deux cas, sont envisagés la vie, le «caractère» et l’œuvre voltairiens sous un éclairage critique et dans des termes de désaccord, quoiqu’avec des nuances entre les deux contributions. On peut parler d’un syllogisme de Faguet: la religion manque à Voltaire; or la religion est l’essentiel; donc l’essentiel manque à Voltaire. Le propos de Faguet est ramené à la vision d’ensemble que le critique littéraire propose du XVIIIe siècle. Pour Faguet, la philosophie de Voltaire est régie à la fois par la négation du religieux et par le manque inhérent à cette négation. L’auteur s’interroge en conclusion sur la pertinence d’une telle approche.

Andrew Brown, Une version perdue du «Siècle de Louis XIV

En 1866, un marchand d’autographes parisien mit sur le marché le feuillet d’un manuscrit contenant une version de la fin du chapitre V et de la première moitié du chapitre VI du Siècle de Louis XIV. Cette version apparaît radicalement différente du texte publié pour la première fois en 1746, tout en étant proche de la version berlinoise de 1751. Reproduisant le document en fac-simile, l’auteur retranscrit le texte de cet autographe, avant de donner celui de l’édition de 1751 du Siècle de Louis XIV dans lequel sont soulignés les passages repris du fragment découvert.

Ulla Kölving, Deux lettres inédites d’Emilie Du Châtelet

La première lette inédite est adressée à l’abbé Trublet (1697-1770), censeur royal des belles-lettres et cible immortelle des vers voltairiens du Pauvre diable. Datée du 20 octobre 1738, la lettre fait notamment allusion au «premier ouvrage» de Mme Du Châtelet elle-même, à savoir sa Lettre sur les Eléments de la philosophie de Newton de Voltaire, lettre publiée dans le Journal des savants, dont l’abbé Trublet était membre du bureau des rédacteurs. La seconde lettre, adressée au comte d’Argental (1700-1788), ami et confident de Voltaire et de Mme Du Châtelet, est datée du 8 octobre 1743. Elle témoigne de la détresse d’Emilie, qui se croyait définitivement abandonnée par Voltaire, alors que Frédéric II multipliait les manœuvres pur le retenir en Prusse.

Ulla Kölving et Andrew Brown, Deux lettres inédites de Hénault à Voltaire sur «Le Siècle de Louis XIV»

En 1751, Voltaire envoie à Hénault un exemplaire de la première édition du Siècle de Louis XIV. Voltaire et le président de la première Chambre des enquêtes se connaissent depuis quarante ans. Parmi les réponses de Hénault restées longtemps inconnues, figurent notamment deux lettres inédites à Voltaire que les deux auteurs publient. Des notes identifient les passages du Siècle de Louis XIV auxquels Hénault se réfère, et comportent aussi une indication des suites donnés par Voltaire aux remarques du président.

Jean-Daniel Candaux, Alexandre Romanovitch Vorontsov raconte sa première rencontre avec Voltaire (1758)

«Je me suis rendu au théâtre; on donnait Mahomet et j’ai remarqué que Voltaire s’agitait lorsqu’il estimait que l’un des acteurs donnait à telle ou telle phrase un autre sens que celui qu’il avait voulu». Ce témoignage est extrait des Voyages du comte Alexandre Romanovitch Vorontsov. L’auteur propose le texte d’un important passage de ces Mémoires du prince, relatant sa rencontre avec Voltaire à Mannheim en 1758.

François Bessire, Un après-midi chez Voltaire: récit inédit d’une visite à Ferney

«Il m’a dit quelques choses saillantes, qui dénotaient la vivacité de son esprit; par exemple en parlant de l’air riant de Ferney et des beaux établissements qu’il y avait formés, je lui dis qu’il était là, comme Abraham, au milieu de sa famille. Monsieur, dit-il, je suis bien différent d’Abraham; lui chassait les rois, et moi ils m’évitent». L’auteur publie cette lettre datée de Berne du 29 juillet 1777. Elle est adressée à sa tante par un certain J. de Vrintz, et a été découverte par André Magnan dans des papiers de famille. Mais ni l’épistolier ni sa destinataire n’ont pu être identifiés.

Andrew Brown, Julien Benda, Introduction au «Dictionnaire philosophique» de Voltaire (1935)

«J’avoue que, dans ma jeunesse, je lisais le Dictionnaire avec le culte un peu distrait qu’on porte aux combattants de la première heure d’une lutte désormais finie. Je le lis d’un autre cœur aujourd’hui que je constate que la lutte n’est nullement finie, que l’adversaire auquel il s’en prend mène la bataille avec plus de foi et de vigueur que jamais». Ainsi se termine l’introduction écrite par Julien Benda pour l’édition du Dictionnaire philosophique de Voltaire parue en 1935 dans les Classiques Garnier, et à laquelle s’est substituée en 1967 une préface d’Etiemble. Les lecteurs ont ainsi perdu une présentation capitale d’une des œuvres majeures de Voltaire. Andrew Brown évoque la figure de Julien Benda (1867-1956). Il rapproche les phrases de l’introduction citées ci-dessus du sort de Raymond Naves, collaborateur de Julien Benda, et qui disparaîtra à Auschwitz après y avoir été déporté en 1944.

 

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