Tête de Voltaire par Huber

Débat 6. Voltaire à l’école

Débat coordonné par Alain Sandrier et Béatrice Ferrier

«Voltaire à l’école»: un nouveau débat, au départ une enquête empirique, un très vaste champ à explorer, nous en sommes conscients.

L’intitulé peut se lire de plusieurs manières, concurrentes, complémentaires. C’est déjà une histoire, celle de la place de Voltaire dans l’enseignement. Depuis quand? Y a-t-il un Voltaire Troisième République? Qu’en était-il auparavant? Qu’en est-il ensuite? Selon l’ambitieuse enquête sociologique de Louis Trénard achevée en 1977, qui intégrait questionnaires, sondages, manuels, programmes aux concours de l’enseignement, pratiques de lecture des élèves et des enseignants, (RHLF 79, 1979, p. 457-479), Voltaire apparaissait en sixième position parmi les auteurs les plus connus des personnes interrogées, titulaires pour la plupart du seul certificat d’études. Qu’en est-il de nos jours? Le palmarès est-il toujours aussi flatteur pour le Patriarche de Ferney? Et cette réception de Voltaire, qu’est-ce qui l’entretient voire la construit, la fixe ou la produit, si ce n’est les manuels scolaires? Ceux de 1817 à 1968, dénonçait Jean Sareil (SVEC 212, 1982, p. 83-161), se caractérisaient par une «interprétation tendancieuse» et une «accumulation de clichés et de rationalisations fausses», diffusant l’image d’un Voltaire «vaniteux, cupide, superficiel, égoïste, tour à tour vil et arrogant, rempli de contradictions». Un récent contrepoint a été apporté par Béatrice Bomel-Rainelli dans son étude sur les anthologies scolaires de 1923 à 2002 (Revue Voltaire 5, 2005, p. 339-367). Plus récemment encore, Jean-Noël Pascal a étudié avec précision la «présence de Voltaire dans le manuel de Noël et Delaplace» dans ses Relectures (Cahiers Voltaire 5, 2006, p. 262-273). Cela appelle d’autres investigations, sur d’autres manuels, du fameux Lagarde et Michard aux plus récents issus des nombreuses réformes des programmes de français au collège (2008) et au lycée (2002 puis 2006). Parions que les enseignements d’exploration mis en place à la rentrée 2010 modifieront encore la donne. Tous ces travaux, ces vues d’ensemble et ces enquêtes, passées, récentes ou en cours, d’orientation sociologiques ou pédagogiques (voir Cahiers Voltaire 8, p. 222), dessinent un premier bilan, demandent synthèses et actualisations, suggèrent une mise à jour des données d’expérience. À ces manuels, il faut ajouter le poids et le choix des éditions accessibles aux élèves. Quels sont encore les élèves qui lisent en intégralité des œuvres de Voltaire en lectures personnelles? Comment sont faites les éditions dites «parascolaires»? Comment ont-elles évolué? Qu’on songe aux éditions scolaires de Candide depuis les «classiques Larousse» analysées par Anne-Raymonde de Beaudrap (Les Éditions scolaires et l’œuvre intégrale, un exemple: Candide de Voltaire, 2000). On assiste, comme le rappelle John Iverson (French Review 76, 3, février 2003, p. 522-33), à une «classicisation» scolaire entreprise dès le XIXe siècle. Ses prolongements actuels, avec notamment l’explosion de l’offre parascolaire, la concurrence qu’elle développe, demandent à être auscultés.

Mais ces manuels et ces éditions sont faits pour être lus, utilisés, faut-il dire «exploités», par les professeurs comme par leurs élèves. On espère ainsi mobiliser une mémoire, celle de l’enseignement de Voltaire, des petites aux grandes classes, du primaire, s’il pratique Voltaire, au supérieur, jusqu’au CAPES et à l’agrégation (son programme portait en 2009 sur le Dictionnaire philosophique pour la troisième fois de son histoire: manque d’imagination ou retour nécessaire?). On souhaite réveiller tout un ensemble de souvenirs, d’habitudes et d’usages: exaltation d’un classique toujours actuel ou fatigue devant un auteur «patrimonial» trop systématiquement étudié? C’est l’occasion, pour les enseignants, de faire retour sur le temps long du métier, en marquant des évolutions, s’il y a lieu. Qui a le plus souffert: l’élève ou le professeur? Pour le dire autrement, qui «supporte» encore Voltaire? Dans les deux sens du terme: y a-t-il un sens à défendre l’enseignement de Voltaire au nom de certaines valeurs idéologiques (les Lumières) ou littéraires (le «style Voltaire, qui est une jolie forme d’ailleurs» disait Céline dans un éloge empoisonné)? Mais reste-t-il lisible, c’est-à-dire déchiffrable, accessible pour un public qui a évolué, parce que le rapport à l’écrit, au livre a évolué lui aussi? Le problème est notamment posé outre-Atlantique où, comme le rappelle Renée Waldinger (Approaches to teaching Voltaire’s Candide, New York, 1987), Candide est perçu comme un ouvrage incontournable de la littérature française. C’est par lui que les étudiants sont sensibilisés aux difficultés d’interprétation, selon la place accordée au texte et celle réservée à la critique, deux démarches qui font débat entre Theodore Braun et M. D. Meyer (French review 61, 4, mars 1988, p. 569-77). Se pose alors la question de l’enseignement de Voltaire à l’étranger: quels sont les textes retenus? Quelles sont les démarches d’apprentissage privilégiées? Quels en sont les enjeux, en particulier dans les pays où la parole est encore censurée? Cette distance culturelle est aussi celle qui se creuse avec des représentations du monde qui ne se comprennent plus d’un siècle à l’autre: difficulté de nos jours à situer la relation de Voltaire aux juifs dans ce monde d’Ancien Régime tout chrétien, qui, de toutes façons, ne les ménage guère; position délicate encore devant la question de l’esclavage et des races. Comment aborder ces enjeux interprétatifs toujours saillants, et les plus en prise sur le débat sociétal du moment: en esquivant les passages risquant de soulever des complications, en se réfugiant derrière l’autorité du grand homme, de ses combats indéniablement courageux?

On l’a compris, considérer «Voltaire à l’école», c’est se demander quel Voltaire est pris en compte ou, à l’inverse, vilipendé voire ignoré. Cela passe par le choix même des textes de Voltaire. Qui pratique son théâtre en milieu scolaire?, s’interrogeait Monique Flon (Cahiers Voltaire 2, 2003, p. 133-134). La question reste valable: l’auteur tragique est bien oublié et, quand on s’en souvient, on s’intéresse davantage à Mahomet qu’à Zaïre ou Mérope. Pour quelles raisons? Et l’auteur de comédies, l’a-t-on oublié lui aussi? On croirait presque, à considérer les adaptations scolaires sur scène, que le plus théâtral de son œuvre réside dans ses contes. Pratique-t-on autre chose, d’ailleurs, dans les classes, que Candide et L’ingénu? Ne parlons pas du poète ou de l’historien: qui s’avise de la modernité de L’Essai sur les mœurs? Mais de l’historien de soi-même? Voltaire peut-il tenter sa chance et concurrencer Rousseau sur son terrain de prédilection, du haut de sa correspondance incomparable et de quelques écrits autobiographiques enfin disponibles en livres de poche? Autant de Voltaire possibles, de Voltaire figés ou en devenir que l’école tour à tour parcourt, intronise, néglige ou découvre. Et tout cela ne finit-il pas en anthologie? Voltaire est-il classique, selon la boutade connue, parce qu’on l’étudie en classe à grands renforts de «morceaux choisis»? Mais qui a choisi les morceaux choisis, et sur quels critères? Quels sont les adversaires ou concurrents de Voltaire, dans le siècle des Lumières et au-delà. Où place-t-on Voltaire: contre Rousseau évidemment, à cause de l’incompatibilité d’humeur et de doctrine, mais sur le même plan que Montesquieu, pour l’art de l’ironie dévastatrice, ou encore à coté d’Hugo, en tant que monstre de la littérature française?

On ne présume pas des réponses: on trace quelques pistes. Le débat, sauf à être faussé, n’a pas de grille de lecture préconstruite. On n’a pas non plus de modèle à l’esprit pour la mise en forme des résultats. On attend des interventions directes, des prises de position, inquiètes, favorables ou franchement hostiles, en bref des témoignages, qui n’ont de sens que s’ils sont situés. Des expériences, des souvenirs, des anecdotes: cela peut se dire en peu de mots, une à trois pages – l’article de fond restant possible mais non systématique –, sans prétendre répondre à toutes les questions à la fois; avec le souci du détail et de la clarté de l’analyse, pourront se dégager les divers aspects d’une «vie de Voltaire» à l’école, plus ou moins spécifique, plus ou moins agissante.

Les contributions sont à faire parvenir aux coordinateurs qui en assureront la publication en concertation avec leurs auteurs dans les prochains numéros des Cahiers Voltaire.

Alain Sandrier (alain.sandrier@wanadoo.fr)
Béatrice Ferrier (beatrice.ferrier@gmail.com)

Questionnaire du débat «Voltaire à l’école» (Cahiers Voltaire 10, p. 157-158)

Mode d’emploi: ce questionnaire vous invite à partager une expérience pédagogique.

Il n’est ni contraignant ni directif. Il indique nos attentes générales et nous aidera à traiter, à classer éventuellement vos réponses.

Vous n’êtes pas tenu(e) de répondre à toutes nos questions, ni d’en suivre l’ordre; vous pouvez vous concentrer sur les points qui vous semblent les plus importants; vous pouvez aussi rédiger une réponse suivie, articulée librement.

Longueur des contributions attendues: une à deux pages en cas de réponses factuelles — mais des exceptions sont souhaitées.

Il s’agit, en toute simplicité, de témoigner entre nous de notre pratique de Voltaire en classe, de nos ambitions, de nos visées pédagogiques et, en corollaire, des réactions de nos élèves, des résultats obtenus. Nous souhaitons recueillir et diffuser un maximum de données concrètes, de témoignages directs sur la situation actuelle de «Voltaire à l’école».

Nom de l’enseignant

Classes concernées (collège, lycée, région, zones sensibles, etc.)

1) Quelles sont les œuvres de Voltaire (genre, titres, formes: extrait ou œuvre intégrale) que vous étudiez en classe? Les étudiez-vous depuis longtemps? Avez-vous changé le choix des textes étudiés? Les manuels scolaires vous sont-ils utiles pour aborder les textes de Voltaire?

2) Quels sont, d’après votre expérience, les dispositifs ou activités pédagogiques (lecture méthodique, lecture suivie, lecture personnelle, débat, explications, exercices écrits, etc.) les plus intéressants et efficaces pour étudier Voltaire?

3) Quels aspects de l’œuvre et de l’homme (le «philosophe», l’apôtre de la tolérance, l’écrivain, etc.) mettez-vous le plus en avant? Quelles limites, mais aussi quels obstacles, quelles difficultés et quels intérêts percevez-vous dans l’étude des textes de Voltaire? Les enjeux que soulèvent son œuvre et son écriture vous paraissent-ils d’actualité?

4) Quelles sont les réactions remarquables de vos élèves à l’occasion d’un travail sur Voltaire? Quelles étaient les circonstances? Quels aspects de l’œuvre concernent-elles? Quelle interprétation en donnez-vous?

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