Retour au site de la Société Voltaire
|
In memoriam Raymond Trousson 1936-2013
Membre fidèle de la Société Voltaire, Raymond Trousson
nous a quittés le 25 juin dernier, regretté par tous ceux qui ont eu le privilège de le connaître, de l'entendre ou de le lire.
Nous nous permettons de citer ici les mots que Jean-Daniel Candaux a prononcés à la dernière réunion du comité de la Société Rousseau:
« Nous sommes
dans le deuil: Raymond Trousson s’est éteint dans l’hôpital de Bruxelles
où il était soigné depuis plusieurs semaines.
Avec lui disparaît
un des meilleurs connaisseurs du dix-huitième siècle et l’un des plus grands
spécialistes de la vie et de la pensée de Jean-Jacques Rousseau.
Raymond Trousson
avait une force de travail peu commune. Durant plus d’un demi-siècle, tout au
long de sa brillante carrière à l’Université libre de Bruxelles et de ses
prestations au sein de l’Académie royale de langue et de littérature
françaises, il a publié sans relâche des ouvrages, des éditions, des recueils
de valeur, se montrant à l’aise non seulement avec les grands auteurs du siècle
des Lumières, mais également avec leurs émules immédiats et leurs plus
lointains successeurs: Louis-Sébastien Mercier, Bernardin de Saint-Pierre,
Isabelle de Charrière, Grétry, Lamartine, Stendhal, Victor Hugo, Balzac,
Michelet, Anatole France...
Il ne craignait pas
de faire également œuvre de défricheur, consacrant à la fois une étude
biographique et une édition de textes à des auteurs appréciés seulement de
quelques fins connaisseurs tels Antoine-Vincent Arnault ou Jean-Guillaume
Viennet.
Cette envergure
cosmopolite s’accommodait fort bien de l’intérêt (voire de l’amour) qu’il
portait à son pays, la Belgique, dont il ne cessa de mettre en valeur les
meilleurs têtes littéraires, éditant Charles De Coster, Georges Eekhoud, Iwan
Gilkin; consacrant des travaux souvent importants à Michel De Ghelderode, à
Charles De Coster encore, à Robert Frickx, à Charles Van Lerberghe.
Mais je crois ne
pas trahir la confiance que m’avait faite Raymond Trousson en disant que la
Suisse était devenue en quelque sorte sa seconde patrie. Son premier grand
livre, le Thème de Prométhée dans la
littérature française avait été publié chez Droz en 1964. Une quinzaine
d’années plus tard, Raymond Trousson rencontrait Michel Slatkine, devenait son
ami pour la vie, mettait ses multiples compétences, ses relations et ses
talents d’organisateur au service de la maison Champion, qui connut alors un
second âge d’or. En ces mêmes années, Raymond Trousson se prit véritablement de
passion pour Jean-Jacques Rousseau, lui consacrant des dizaines de travaux, devenant
membre à vie de notre Société, se liant d’autre part, et d’une amitié également
indéfectible, au grand rousseauiste de Neuchâtel, Frédéric Eigeldinger, signant
avec lui en 1996 et 1998 ces ouvrages incontournables que sont le Dictionnaire et la Chronologie de Jean-Jacques Rousseau et couronnant son engagement
au service du « citoyen de Genève (et communier de Couvet) » en
mettant sur pied avec l’ami neuchâtelois et en publiant chez Slatkine une
nouvelle édition des œuvres de Jean-Jacques Rousseau, édition véritablement
complète puisque les lettres de Jean-Jacques Rousseau cette fois-ci n’en
étaient pas écartées, et qui fut présentée au public dans la maison natale de
Jean-Jacques Rousseau le 26 juin 2012. La Suisse sut
reconnaître la valeur de cet engagement, et Raymond Trousson reçut en 2011 le
doctorat honoris causa de
l’Université de Neuchâtel.
Raymond Trousson
avait été invité à prendre la parole, de Brest à Bergame, dans tous les
colloques de l’année du tricentenaire. Il réussit à remplir brillamment ses
engagements jusqu’à la fin du mois d’août quand une chute stupide, dans sa rue,
le priva soudain de sa mobilité et déclencha bientôt une série fatale
d’accidents de santé de plus en plus graves. Il a veillé jusqu’au matin de son
décès à la correction des dernières épreuves de quelques ouvrages qu’il avait
sous presse et il est mort en philosophe.
Son souvenir ne
nous quittera pas. »
Raymond Trousson maîtrisait également l'étude de toutes les grandes figures du siècle des Lumières: Rousseau,
Voltaire, Diderot, et tant d'autres. L'encart ci-dessous ne donne qu'un
faible aperçu de sa remarquable carrière et de sa riche bibliographie, mais
aucun texte ne peut communiquer l'humanité chaleureuse d’une présence et un
humour à la fois vif et généreux. Raymond Trousson représentait pleinement le
meilleur de ce qu'il étudiait.
|
|
|
|
Né à
Bruxelles le 11 juin 1936, Raymond Trousson a fait ses études de « Philologie
romane » à l'Université libre de Bruxelles, où Roland Mortier encadrera ses
débuts dans la carrière scientifique. Après un an dans l’enseignement
secondaire, il devient aspirant au Fonds de la recherche scientifique-FNRS en
1960, puis chargé de recherches en 1963. En 1967, il entre dans le corps
professoral de l'Université libre de Bruxelles.
Raymond
Trousson s’est d’abord orienté vers la thématologie littéraire, domaine
complexe et exigeant. Après sa thèse de doctorat sur Le Thème de Prométhée dans la littérature européenne (Genève, Droz,
1964, 1976, 2001), il a publié Un problème
de littérature comparée, les Études de thèmes, essai de méthodologie
(Lettres modernes, 1965), suivi en en 1981 par Thèmes et mythes. Questions de méthode (Bruxelles, Ed. de
l'Université de Bruxelles). Cependant,
le XVIIIe siècle tiendra dans son œuvre la place essentielle.
Raymond Trousson s'intéresse d’abord à la survivance de la culture antique à
l'époque des Lumières. À partir de 1969, c'est sur Jean-Jacques Rousseau que se
concentre son intérêt: Jean-Jacques
Rousseau dans la presse périodique allemande de 1750 à 1800 (dans Dix-huitième siècle, I, n° 1,
1969; II, n°2, 1970); Rousseau
et sa fortune littéraire (G. Ducros, 1971); Jean-Jacques Rousseau. I. La marche à la gloire (Tallandier, 1988)
et II. Le deuil éclatant du bonheur
(Tallandier, 1989); Jean-Jacques
Rousseau. Heurs et malheurs d'une conscience (Hachette, 1993); Défenseurs et adversaires de Rousseau
(Champion, 1995). Citons encore: Jean-Jacques
Rousseau jugé par ses contemporains (Champion, 2000) et le Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau
qu’il a dirigé avec Frédéric S. Eigeldinger (Champion, 1996) et qui a été
souvent réédité. Mais Diderot a aussi beaucoup retenu Raymond Trousson: Images de Diderot en France, 1784-1913
(Champion, 1997); Dictionnaire de
Diderot (dirigé avec Roland Mortier, Champion, 1999); Diderot jour après jour: chronologie
(Champion, 2006); Diderot ou le
vrai Prométhée (Tallandier, 2005). Et sur Voltaire, ce fut: en 2004, un
recueil, Voltaire et les droits de l'homme: textes sur la justice et la tolérance
(Bruxelles, Espace de libertés); en 2001, Visages
de Voltaire, XVIIIe-XIXe siècles (Champion); en
2003, le Dictionnaire général de Voltaire
(co-dirigé avec avec Jeroom Vercruysse, Champion) et en 2008, Voltaire (Tallandier) et le recueil Voltaire: 1778-1878 (Presses de
l'Université Paris-Sorbonne). Les éditions des Anecdotes sur la vie privée de monsieur de Voltaire de Longchamp
(avec Frédéric S. Eigeldinger, Champion, 2009) et du récit de Collini, Mon séjour auprès de Voltaire (Champion,
2009) ont contribué à nous représenter la vie et le travail de Voltaire.
Raymond
Trousson a aussi travaillé sur l’utopie (Voyages
aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique,
Bruxelles, édition de l’Université de Bruxelles, 1975, réédition augmentée en
1979), et la littérature belge, dans toutes ses époques, a été un champ qu’il a
bien parcouru. Rappelons pour finir ses éditions de textes (de Rousseau
évidemment, mais aussi de Diderot, du prince de Ligne, de Voltaire, de Monbron,
Mercier, Denis Veiras, Tiphaigne de la Roche, Simon Tyssot de Patot, Gabriel de
Foigny, etc.) et ses anthologies (dont les Romans
libertins du XVIII siècle et les Romans de femmes du XVIIIe siècle parus chez Laffont,
dans la collection «Bouquins», respectivement en 1993, 1999 et 1996) qui ont
permis à ses nombreux lecteurs de mettre leurs pas dans les siens pour
apprécier ce qui avait captivé sa grande curiosité.
Depuis 1979,
il était membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de
Belgique.
|
|
|
|
|