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Tête de Voltaire par Huber
 
Bulletin de la

Société Voltaire

 Numéro 29 du 10 juillet 2013
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In memoriam
Raymond Trousson
1936-2013

Raymond Trousson

Membre fidèle de la Société Voltaire, Raymond Trousson nous a quittés le 25 juin dernier, regretté par tous ceux qui ont eu le privilège de le connaître, de l'entendre ou de le lire.

Nous nous permettons de citer ici les mots que Jean-Daniel Candaux a prononcés à la dernière réunion du comité de la Société Rousseau:

« Nous sommes dans le deuil: Raymond Trousson s’est éteint dans l’hôpital de Bruxelles où il était soigné depuis plusieurs semaines.

Avec lui disparaît un des meilleurs connaisseurs du dix-huitième siècle et l’un des plus grands spécialistes de la vie et de la pensée de Jean-Jacques Rousseau.

Raymond Trousson avait une force de travail peu commune. Durant plus d’un demi-siècle, tout au long de sa brillante carrière à l’Université libre de Bruxelles et de ses prestations au sein de l’Académie royale de langue et de littérature françaises, il a publié sans relâche des ouvrages, des éditions, des recueils de valeur, se montrant à l’aise non seulement avec les grands auteurs du siècle des Lumières, mais également avec leurs émules immédiats et leurs plus lointains successeurs: Louis-Sébastien Mercier, Bernardin de Saint-Pierre, Isabelle de Charrière, Grétry, Lamartine, Stendhal, Victor Hugo, Balzac, Michelet, Anatole France...

Il ne craignait pas de faire également œuvre de défricheur, consacrant à la fois une étude biographique et une édition de textes à des auteurs appréciés seulement de quelques fins connaisseurs tels Antoine-Vincent Arnault ou Jean-Guillaume Viennet.

Cette envergure cosmopolite s’accommodait fort bien de l’intérêt (voire de l’amour) qu’il portait à son pays, la Belgique, dont il ne cessa de mettre en valeur les meilleurs têtes littéraires, éditant Charles De Coster, Georges Eekhoud, Iwan Gilkin; consacrant des travaux souvent importants à Michel De Ghelderode, à Charles De Coster encore, à Robert Frickx, à Charles Van Lerberghe.

Mais je crois ne pas trahir la confiance que m’avait faite Raymond Trousson en disant que la Suisse était devenue en quelque sorte sa seconde patrie. Son premier grand livre, le Thème de Prométhée dans la littérature française avait été publié chez Droz en 1964. Une quinzaine d’années plus tard, Raymond Trousson rencontrait Michel Slatkine, devenait son ami pour la vie, mettait ses multiples compétences, ses relations et ses talents d’organisateur au service de la maison Champion, qui connut alors un second âge d’or. En ces mêmes années, Raymond Trousson se prit véritablement de passion pour Jean-Jacques Rousseau, lui consacrant des dizaines de travaux, devenant membre à vie de notre Société, se liant d’autre part, et d’une amitié également indéfectible, au grand rousseauiste de Neuchâtel, Frédéric Eigeldinger, signant avec lui en 1996 et 1998 ces ouvrages incontournables que sont le Dictionnaire et la Chronologie de Jean-Jacques Rousseau et couronnant son engagement au service du « citoyen de Genève (et communier de Couvet) » en mettant sur pied avec l’ami neuchâtelois et en publiant chez Slatkine une nouvelle édition des œuvres de Jean-Jacques Rousseau, édition véritablement complète puisque les lettres de Jean-Jacques Rousseau cette fois-ci n’en étaient pas écartées, et qui fut présentée au public dans la maison natale de Jean-Jacques Rousseau le  26 juin 2012. La Suisse sut reconnaître la valeur de cet engagement, et Raymond Trousson reçut en 2011 le doctorat honoris causa de l’Université de Neuchâtel.

Raymond Trousson avait été invité à prendre la parole, de Brest à Bergame, dans tous les colloques de l’année du tricentenaire. Il réussit à remplir brillamment ses engagements jusqu’à la fin du mois d’août quand une chute stupide, dans sa rue, le priva soudain de sa mobilité et déclencha bientôt une série fatale d’accidents de santé de plus en plus graves. Il a veillé jusqu’au matin de son décès à la correction des dernières épreuves de quelques ouvrages qu’il avait sous presse et il est mort en philosophe.

Son souvenir ne nous quittera pas. »

Raymond Trousson maîtrisait également l'étude de toutes les grandes figures du siècle des Lumières: Rousseau, Voltaire, Diderot, et tant d'autres. L'encart ci-dessous ne donne qu'un faible aperçu de sa remarquable carrière et de sa riche bibliographie, mais aucun texte ne peut communiquer l'humanité chaleureuse d’une présence et un humour à la fois vif et généreux. Raymond Trousson représentait pleinement le meilleur de ce qu'il étudiait.

Né à Bruxelles le 11 juin 1936, Raymond Trousson a fait ses études de « Philologie romane » à l'Université libre de Bruxelles, où Roland Mortier encadrera ses débuts dans la carrière scientifique. Après un an dans l’enseignement secondaire, il devient aspirant au Fonds de la recherche scientifique-FNRS en 1960, puis chargé de recherches en 1963. En 1967, il entre dans le corps professoral de l'Université libre de Bruxelles.

Raymond Trousson s’est d’abord orienté vers la thématologie littéraire, domaine complexe et exigeant. Après sa thèse de doctorat sur Le Thème de Prométhée dans la littérature européenne (Genève, Droz, 1964, 1976, 2001), il a publié Un problème de littérature comparée, les Études de thèmes, essai de méthodologie (Lettres modernes, 1965), suivi en en 1981 par Thèmes et mythes. Questions de méthode (Bruxelles, Ed. de l'Université de Bruxelles). Cependant,  le XVIIIe siècle tiendra dans son œuvre la place essentielle. Raymond Trousson s'intéresse d’abord à la survivance de la culture antique à l'époque des Lumières. À partir de 1969, c'est sur Jean-Jacques Rousseau que se concentre son intérêt: Jean-Jacques Rousseau dans la presse périodique allemande de 1750 à 1800 (dans Dix-huitième siècle, I, n° 1, 1969; II, n°2, 1970); Rousseau et sa fortune littéraire (G. Ducros, 1971); Jean-Jacques Rousseau. I. La marche à la gloire (Tallandier, 1988) et II. Le deuil éclatant du bonheur (Tallandier, 1989); Jean-Jacques Rousseau. Heurs et malheurs d'une conscience (Hachette, 1993); Défenseurs et adversaires de Rousseau (Champion, 1995). Citons encore: Jean-Jacques Rousseau jugé par ses contemporains (Champion, 2000) et le Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau qu’il a dirigé avec Frédéric S. Eigeldinger (Champion, 1996) et qui a été souvent réédité. Mais Diderot a aussi beaucoup retenu Raymond Trousson: Images de Diderot en France, 1784-1913 (Champion, 1997); Dictionnaire de Diderot (dirigé avec Roland Mortier, Champion, 1999); Diderot jour après jour: chronologie (Champion, 2006); Diderot ou le vrai Prométhée (Tallandier, 2005). Et sur Voltaire, ce fut: en 2004, un recueil,  Voltaire et les droits de l'homme: textes sur la justice et la tolérance (Bruxelles, Espace de libertés); en 2001, Visages de Voltaire, XVIIIe-XIXe siècles (Champion); en 2003, le Dictionnaire général de Voltaire (co-dirigé avec avec Jeroom Vercruysse, Champion) et en 2008, Voltaire (Tallandier) et le recueil Voltaire: 1778-1878 (Presses de l'Université Paris-Sorbonne). Les éditions des Anecdotes sur la vie privée de monsieur de Voltaire de Longchamp (avec Frédéric S. Eigeldinger, Champion, 2009) et du récit de Collini, Mon séjour auprès de Voltaire (Champion, 2009) ont contribué à nous représenter la vie et le travail de Voltaire.

Raymond Trousson a aussi travaillé sur l’utopie (Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Bruxelles, édition de l’Université de Bruxelles, 1975, réédition augmentée en 1979), et la littérature belge, dans toutes ses époques, a été un champ qu’il a bien parcouru. Rappelons pour finir ses éditions de textes (de Rousseau évidemment, mais aussi de Diderot, du prince de Ligne, de Voltaire, de Monbron, Mercier, Denis Veiras, Tiphaigne de la Roche, Simon Tyssot de Patot, Gabriel de Foigny, etc.) et ses anthologies (dont les Romans libertins du XVIII siècle et les Romans de femmes du XVIIIe siècle parus chez Laffont, dans la collection «Bouquins», respectivement en 1993, 1999 et 1996) qui ont permis à ses nombreux lecteurs de mettre leurs pas dans les siens pour apprécier ce qui avait captivé sa grande curiosité.

Depuis 1979, il était membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.