Tête de Voltaire par Huber

Compte rendu de la 7e Journée d’échanges des jeunes chercheurs de la Société Voltaire, en partenariat avec la BnF et la Comédie-Française, samedi 21 janvier 2017: «Voltaire et la scène»

La septième Journée des jeunes chercheurs de la Société Voltaire s’est déroulée le 21 janvier 2017. Consacrée à «Voltaire et la scène», elle a bénéficié du concours de Guillaume Fau (département des manuscrits de la BnF) et d’Agathe Sanjuan (de la Comédie-Française), et des locaux gracieusement mis à disposition par l’INHA (galerie Colbert). Comme chaque année se sont réunis de jeunes dix-huitiémistes, des chercheurs confirmés, des spécialistes du théâtre et des membres fidèles de la Société Voltaire, tous animés par un même esprit de convivialité et de partage.

La parole a été donnée en ouverture aux jeunes chercheurs. Antoine Villard a présenté la thèse qu’il prépare à Paris IV sous la direction de Pierre Frantz, «Voltaire ou les discords de l’esprit», en expliquant les raisons qui l’ont conduit à interroger les contradictions perceptibles sous la plume du philosophe. Il a fait état de plusieurs hypothèses telles que les revirements de la pensée, l’économie de parole ou le «parler par économie», analysé par Voltaire, avant d’évoquer la posture de l’écrivain (concept peu probant selon lui) et ses masques. La question des voix cachées, plus spécifiquement à travers l’influence du lucianisme dans l’écriture voltairienne, a été prolongée par Marie Fontaine qui a soutenu sa thèse, «Voltaire à la lumière de Lucien», en décembre 2016 à Rouen sous la direction de François Bessire. Tout en justifiant sa démarche méthodologique, elle a présenté quelques-uns de ses résultats majeurs quant à cet héritage longtemps minoré, dont elle a patiemment retissé les fils déliés par le temps.

L’idée commune d’une énonciation en mouvement mise en lumière par ces deux premières interventions, que les manuscrits de théâtre manifestent concrètement, a permis d’introduire la thématique de la journée. Agathe Sanjuan, conservatrice de la bibliothèque de la Comédie-Française, a exposé les grands principes de la récente recherche ANR qui a abouti à la construction de l’outil numérique des registres journaliers de la Comédie-Française, donnant libre accès aux documents d’archives ayant trait à la vie de ce théâtre entre 1680 et 1793 (registres des recettes, des dépenses, des «feux» – distributions, nouveaux acteurs –, des assemblées hebdomadaires qui décident de la programmation, etc.). Cet outil construit en collaboration, disponible en ligne (http://cfregisters.org/fr/), vise à faire connaître au grand public, aux praticiens, aux enseignants, des pièces aujourd’hui disparues des salles de spectacle, tout en offrant des outils d’analyse inédits.

La découverte des fonds anciens s’est poursuivie par une visite commentée par Agathe Sanjuan de la bibliothèque de la Comédie-Française où étaient exposées des pièces manuscrites rares, relatives au théâtre de Voltaire. Béatrice Ferrier et Stéphanie Géhanne Gavoty ont proposé quant à elles une étude de cas fondée sur une sélection de manuscrits issus des magasins de Richelieu qui abritent, entre autres, les collections du duc de La Vallière ou de Alexandre Martineau de Soleinne. Dans un échange avec l’assistance, elles se sont interrogées sur les mains, l’usage des copies, les processus de l’écriture dramatique, la datation, autant de problèmes qui rencontrent une résonance singulière dans le cadre de la circulation du texte théâtral.

L’après-midi, quatre interventions qui ont donné lieu à des discussions stimulantes ont abordé la dimension historique du théâtre de Voltaire. Du côté du spectacle, Damien Chardonnet-Darmaillacq a montré combien les registres de mise en scène de Lekain, édités dans sa thèse, fournissent des indications essentielles sur la vie théâtrale de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et témoignent du rôle fondamental du comédien dans la création des pièces de Voltaire. Béatrice Lovis a quant à elle abordé la vie d’un autre théâtre, celle du théâtre de société de Mon-Repos, objet de la thèse de doctorat qu’elle conduit actuellement en histoire de l’art à l’université de Lausanne sous la direction de François Rosset. Elle a fait état de sa démarche de recherche, du dépouillement de nombreux fonds comme celui de Constant d’Hermenches, très riche sur la question théâtrale, pour apporter un nouvel éclairage d’une part sur la place et le rôle de Voltaire dans le milieu culturel vaudois, d’autre part sur les évolutions du théâtre de société helvète.

Le texte dramatique a été étudié par Catherine Ramond, qui a examiné, sous un angle à la fois théorique et scénique, les représentations de la mort et leurs limites dans les tragédies de Voltaire dont la composition s’étend sur une soixantaine d’années. La mise en dialogue de l’appareil critique, des didascalies et des choix scénographiques a montré à quel point les mutations du genre sont intriquées aux transformations de la scène. Enfin, Justine Mangeant, qui prépare une thèse à Lyon sous la direction de Catherine Volpilhac-Auger, a donné un aperçu du minutieux travail appelé par les manuscrits lorsqu’il s’agit d’établir, à partir des variantes, la genèse complexe d’une pièce de Voltaire. Elle s’est appuyée sur l’analyse comparée d’un manuscrit partiel de Zaïre (récemment acquis par l’Institut et Musée Voltaire de Genève) et de la version du souffleur Minet conservée à la bibliothèque de la Comédie-Française.

Durant le dernier temps de la manifestation, dédié au «théâtre de Voltaire aujourd’hui: du texte à la scène», Pierre Frantz a évoqué son expérience d’éditeur en exposant les choix et difficultés liés à la réédition du théâtre complet de Voltaire, en fonction de la collection envisagée et du public visé. Il a souligné la gageure de ce travail, actuellement en cours de finalisation, qui ne peut prétendre à l’exhaustivité tout en prévoyant un appareil critique suffisant pour assurer la réception de textes difficiles à appréhender aujourd’hui. Le metteur en scène Laurent Hatat, qui a monté plusieurs pièces du XVIIIe siècle parmi lesquelles Nanine, a complété la réflexion en soulignant l’intérêt de son choix par les échos très actuels que l’on perçoit dans cette comédie de Voltaire. Il a ainsi livré sa lecture féministe de la pièce, qui soulève également le problème de la légitimité socio-culturelle, pour justifier ses choix dramaturgiques et scénographiques tels qu’un jeu exclusivement féminin, une scène quadri-frontale ou l’influence de la comédie musicale dont un court extrait a pu être entendu. Ce finale en chansons et le dynamisme des discussions laissent présager que le théâtre de Voltaire pourrait de nouveau trouver sa place dans le paysage contemporain.

Cette journée, dont les participants auraient aimé qu’elle se prolonge davantage, aura du moins permis de mettre en lumière tout l’intérêt que le théâtre de Voltaire recèle pour les chercheurs, les praticiens ou le public, comme l’ont révélé ces échanges passionnants et passionnés, guidés par un généreux et bienveillant sens du partage transgénérationnel.

Béatrice Ferrier et Stéphanie Géhanne Gavoty

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